Véritable attraction de la Serie A, l'Atalanta Bergamo a validé son ticket pour la Champions League pour la 3ème année consécutive et s’apprête à disputer aux parisiens une place en demi-finale de la plus prestigieuse des compétitions européennes. Une situation impensable il y a de ça quelques saisons pour ce club au modèle économique et à la stratégie très atypiques en Italie. Ettachkila est revenue sur la récente success story de la Dea (« La Déesse », surnom du club inspiré de de la figure mythologique de l'Atalante) à travers ce récit
L’homme fort
La récente réussite de l’Atalanta est fortement liée à Antonio Percassi. Né et ayant grandi à Clusone (commune de la province de Bergamo), ce magnant de l’immobilier et ancien compagnon de route de Luciano Benetton pendant 30 ans fera fortune grâce à une niche alors peu exploitée en Italie : les franchises.
Après avoir réussi l’introduction de la marque Zara (Groupe Inditex) sur le marché italien, Percassi acquiert une renommée internationale et devient le Président de la Holding Odissea Srl opérant dans le secteur du retail, de la mode et du e-commerce. Le groupe gère les réseaux commerciaux de grandes marques telles que Nike, Gucci, Starbucks, Victoria’s Secret, LEGO, Calvin Klein, Tommy Hilfiger et Guess. Percassi a également créé ses propres enseignes comme la marque de cosmétiques Kiko Milano, les centres commerciaux Orio, ainsi que différents « Outlet Villages » à Torino, Rodengo Saiano (Brescia) ou encore à Agira (Sicilia).
Un premier mandat compliqué
En rachetant L’Atalanta en 2010 à la famille Ruggeri, Antonio Percassi, ex-joueur du club (110 matchs entre 1970 à 1977) et ex-président (de 1990 à 1994) retrouve un club instable dont les seuls faits d’armes sont une Coupe d’Italie remportée en 1963 et une demi-finale de Coupe d’Europe des vainqueurs de coupe en 1988, alors que le club évoluait en Serie B.
Lors de son premier mandat à la présidence du club en 1990, Antonio Percassi succède à l’emblématique président Cesare Bortolotti (suite à la mort tragique de ce dernier dans un accident de voiture près du Lac d’Iseo), et mise sur un mix de caractère et de « kick-show » en engageant des joueurs comme Paolo Montero, Alemão, Maurizio Ganz ou encore l’ancien marseillais Franck Sauzée..
Malgré des effectifs de qualité et la succession de coachs comme Francesco Guidolin, Cesare Prandelli ou encore Marcello Lippi, les attentes sont déçues et le club connaîtra la relégation en Serie B. L’industriel et passionné de cyclisme Ivan Ruggeri (dans le giron du club depuis 1977 et actionnaire à hauteur de 19 %) succèdera à Percassi comme président et actionnaire majoritaire en 1994. Sous Ivan Ruggeri, l’Atalanta connaîtra des résultats en dents de scie avec notamment une finale de Coupe d’Italie (en 1995/96), une 7e place de Serie A (en 2000/01) mais aussi, et surtout, un total de 5 saisons passées en Serie B.
Appelé à la rescousse en 2008 suite à l’hémorragie cérébrale qui forcera son père à passer les dernières années de sa vie dans un état végétatif, Alessandro Ruggeri (fils d’Ivan Ruggeri) deviendra à 21 ans le plus jeune président de l’histoire de la Serie A. Percassi reprendra le club (très fragilisié) 2 ans plus tard…
Nouveau départ, nouvelles idées
À la croisée des chemins, le club de Bergamo, situé à quelques 100km de Milan, fait désormais face à un véritable défi identitaire : en 2010/11 l’Atalanta était 18e de la Serie A alors que l’Inter et l‘AC Milan tutoyaient les sommets italiens et européens et faisaient rêver les gamins de la région lombarde…
« Chaque équipe a son triplé. Le notre c’est d’obtenir la garantie de rester en Serie A le plus rapidement possible, d’être dans le vert financièrement et de voir des jeunes débuter avec l’équipe première. »
Antonio Percassi, suite au triplé de l’Inter en 2009/2010
Pour renforcer le sentiment d’appartenance au club, Percassi décide en 2010 de lancer le projet inédit des « Neonati Atalantini » : chaque enfant né dans la ville de Bergamo et aux alentours se voit offrir un kit contenant un maillot taillé bébé (se déclinant en version filles et garçons) et deux briques de lait de marque locale.
Le club s’est également engagé socialement en reversant une contribution à la Fondazione Comunità Bergamasca Onlus à hauteur de 1€ pour chaque kit distribué. L’idée de Percassi est accueillie avec bienveillance mais personne n’imaginait alors qu’elle allait donner de tels résultats…
Les hommes de la stratégie
Mettre en place le scouting à travers l’Europe tout en s’appuyant sur l’académie, telle a été la stratégie sportive depuis le début du mandat de Percassi. Ce travail a fini par permettre à la Primavera de se classer 4 fois 2ème du « Campionato Primavera Girone B » entre 2010/11 et 2015/16 avant de remporter celui du « Girone C » 2016/17 puis celui de la « Primavera 1 » 3 fois d’affilée entre 2017/18 et 2019/20. L’Atalanta deviendra depuis 2010/11 le principal pourvoyeur des catégories de jeunes de l’équipe d’Italie. En Novembre dernier, l’académie Mino Favini a été créée en hommage à celui qui avait découvert les futurs talents de la Dea de 1991 à 2015. Cette nouvelle académie pour jeunes footballeurs entre dans la lignée des grands travaux entamés par Percassi.
Le technicien Gian Piero Gasperini (au club depuis 2016) est l’homme qui a permis de mener le club vers l’Europe grâce à un jeu dynamique, agressif et basé sur la défense à 3. En prenant en main l’Atalanta, le « Gasp », comme on le surnomme, avait à cœur de prendre sa revanche dans le Calcio après son humiliante éviction de la tête de l’Inter en 2011 après seulement 5 matchs.
« Il est impossible de gagner sur la durée sans bien jouer »
Gian Piero Gasperini
Le jeu repose sur des joueurs offensifs aux profils différents avec une variation des circuits et un changement de postes permenants à chaque attaque pour bien utiliser l’espace. L’Atalanta, surtout, défend en avançant et presse très haut comme le montre ce graphique @StatsBomb
Pour plus de détails sur le jeu de l’Atalanta, vous pouvez lire cette excellente analyse tactique de nos confrères So Foot signée Maxime Brigand : https://www.sofoot.com/l-autopsie-tactique-de-l-atalanta-485945.html
Percassi a également donné sa confiance à Giovanni Sartori. Cet ancien joueur du Milan de 1974 à 1979 est connu en Italie comme étant l’artisan du « miracle du Chievo Verona », club où il avait occupé la fonction de directeur sportif de 1992 à 2014 et avec lequel il connaîtra les promotions en Serie B, Serie A puis une qualification historique au 3ème tour qualificatif de la Champions League lors de la saison 2005-06 (aidé il est vrai par le scandale du Calciopoli qui a permis au Chievo de finir 4e de la Serie A). Nommé directeur sportif à L’Atalanta en 2014, il fait partie des hommes de l’ombre ayant contribué avec leur flair aux succès actuels avec notamment le recrutement des Papu Gomez, Ilicic et Gosens…
En chiffres…
Grâce à l’énorme apport de ses recrues « low cost », l’Atalanta a été cette saison sacrée (avec 98 buts) meilleure attaque de la Serie A sur les 60 dernières saisons après avoir dépassé le Napoli de la saison 2016/17 et ses 94 buts en 34 matchs. Seul le Bayern (100 buts) a fait mieux dans le TOP 5 européen cette saison . Aussi, et avec Liverpool (Mané + Salah) et Manchester United (Rashford + Martial), L’Atalanta est parmi les seules 3 équipes du TOP 5 Européen à compter 2 joueurs avec 17 buts et plus (Muriel + Zapata) en championnat.
Preuve de l’efficacité de la Dea cette saison, ce graphique @CalcioDatato démontre que l’Atalanta est l’équipe de Serie A ayant réalisé la plus grande « overperformance » (c’est à dire la différence entre les buts marqués et les buts attendus ou expected goals : xG) hors buts marqués sur penalty.
L’Atalanta est également première en Europe en termes de buts marqués depuis l’extérieur de la surface, ayant une faible probabilité d’être transformés (tirs avec Taux d’xG inférieur à la moyenne). En d’autres termes, l’Atalanta est très redoutable en termes de taux de concrétisation.
Côté finances, en 2018/19 le club a fait 35 M€ de bénéfices avant impôts (pour un chiffre d’affaires de 98 M€), le meilleur résultat en Italie (l’Inter et le Milan ont, à titre comparatif, fait des pertes de respectivement 40 et 143 M€ toujours avant impôts. Sur la même période, l’Atalanta a réalisé 24 M€ de plus-values sur la vente de joueurs (le double du Milan par exemple). Le total plus-value sur la période 2013-2018 a atteint 173 M€ (plus que le triple du Milan qui en a réalisé 55M€). Depuis 2016 et arrêté à l’exercice 2019, les recettes de l’Atalanta ont connu une croissance de +76% : 2ème meilleur résultat en Italie après l’Inter qui a connu une croissance de +103% mais avec toutefois un fort endettement. (chiffres @SwissRamble)
Citons parmi les ventes phares celles notamment de Franck Kessié (Vendu au Milan 24 M€ en 2019) Andrea Conti (Vendu au Milan 24 M€ en 2017), Bastoni (Vendu à l’Inter 31 M€ en 2017) ou Kulusevski (Vendu à la Juve 34 M€ en 2020, actuellement prêté à Parma)
Le stade est également au cœur du projet de Percassi. Le 17 octobre 2017, le jour des 110 ans du club, l’Atalanta est devenue l’un des rares clubs italiens à posséder son propre stade : le Stadio Atleti Azzurri d’Italia, rebaptisé « Gewiss Stadium » suite aux travaux d’agrandissement actuellement en cours. Le projet, estimé à 40 M€, a été confié à l’entreprise Gewiss, leader mondial dans la conception et la construction de systèmes domotiques et de systèmes électriques à usage civil et industriel.
Des résultats sportifs et financiers exceptionnels et une stratégie cohérente qui ont fait passer le club de Bergamo du lait pour nourrissons à la crème de l’Europe et qui lui apportent la garantie de remporter «son» triplé chaque année pour encore de nombreuses saisons..