Mondher Kebaier, bilan de deux matchs riches en débats.

À la suite des deux matchs ayant vu la Tunisie valider son ticket à la CAN pour la 15eme fois consécutive, Ettachkila vous propose de revenir sur une qualification qui a fait débat et ce, à travers les choix du sélectionneur national et plus particulièrement en ce qui concerne : la liste, la tactique et le management.

Une liste et des interrogations

Dès l’annonce de la liste de l’Équipe Nationale, l’opinion publique s’est divisée en deux « camps » : D’un côté des conservateurs louant la stabilité des choix de Mondher Kebaier qui se focalise sur la création d’un noyau dur (malgré les méformes et la situation en club de certains joueurs appelés), et d’un autre, des réformistes voulant voir du sang neuf au sein de la sélection et une remise en question du statut de certains joueurs.

Si le match contre le Soudan a permis de voir un florilège de buts, celui contre le Nigeria a montré certaines limites de la Tunisie à créer du danger et surtout le fait que sa pointe n’en est pas une. Wahbi Khazri, malgré un temps de jeu réduit au minimum par Claude Puel en club, n’est pas un 9 de métier et par conséquent l’absence d’un Jebali ou la reconduction de Jaziri posait question.

Le stéphanois n’est pas seul dans cette situation car hormis Bronn, Meriah, Ben Mohamed et Skhiri, les expatriés tunisiens titulaires en EN sont souvent dans la même configuration en club. Seconds couteaux ou remplaçants qui plus est dans une saison plombée par le Covid-19, leur sélection est certes un moyen de rebondir mais s’est aussi montrée un révélateur de leur manque de rythme.

Invité de l’émission Forum Sport (sur les ondes de la radio Mosaïque FM), Mondher Kebaier a pu s’expliquer sur ce point et étayer ses arguments. Ce profil analytique, cartésien et coordonnant, reconnu et respecté par ses pairs notamment pour son excellent travail à la tête des directions techniques de l’Étoile du Sahel et de l’Espérance Sportive de Tunis a expliqué la confiance placée en Khazri par la pénurie d’attaquants que connait la dernière « cuvée Tunisie » comparativement à d’autres compartiments de jeu comme le milieu de terrain.

Au sujet de l’attitude de Wahbi Khazri (notamment sur l’action isolée ayant fait polémique où on le voit trotter en attaque), Kebaier a répondu que l’attitude de ce joueur positif et au profil de gagneur avait toujours été exemplaire mais qu’il était en deçà de ses objectifs physiques (nombre de Kilomètres courus notamment vs la cible définie avec le staff de l’EN) du fait de sa situation en club. Le sélectionneur national, qui a dit avoir discuté dans l’avion du retour avec son joueur des points à améliorer, n’a pas manqué de rappeler que Khazri était (avec 3 buts au compteur) le 2e meilleur buteur de ces éliminatoires de la CAN.

Quant au sujet de Seifeddine Jaziri, Kebaier a expliqué qu’après analyse de statistiques spécifiques du buteur de l’Arab Contractors et de ses mises en situation aux entraînements, il a préféré ne pas le rappeler pour l’instant mais qu’il restait dans la liste élargie de l’EN.

Il faut néanmoins souligner que les joueurs locaux ne sont pas mieux lotis que les expatriés car plombés par l’arrêt de la compétition nationale depuis Septembre, ainsi que par le flou qui plane encore sur la reprise (qui serait prévue pour début Décembre 2020 au mieux).

Cette liste a pu aussi voir de nouveaux visages, Elyas Damerji venu garnir les rangs de la sélection au poste de gardien, Nassim Hnid en défense (qui n’a pu honorer sa sélection pour des raisons de santé et a été remplacé par Ben Aziza) et Nabil Makni sur le front de l’attaque. Des joueurs convoqués certes mais à qui Mondher Kebaier n’a pas donné de temps de jeu. Cela se comprend pour les deux premiers, un peu moins pour Makni au vu des lacunes entrevues en attaque. Une situation expliquée par Mondher Kebaier lors de sa dernière sortie médiatique par la confiance accordée à Khazri et Youssef Msakni qui pour lui, peut faire accélérer le jeu et débloquer les matchs à tout moment. Le sélectionneur national a également rappelé que son capitaine était impliqué dans 6 des 7 derniers buts de l’équipe nationale.

Enfin, le groupe a également vu la reconduction de Bguir et Jelassi sur le banc des remplaçants. Deux joueurs talentueux qui sortent de deux excellentes saisons et pouvant proposer des profils différents des habituels cadres mais qui n’auront pas, eux non plus, vraiment eu leur chance pour le second rassemblement consécutif.

Le 4-3-2-1, système inamovible de MK qui assure quelques garanties mais a déjà atteint ses limites

Mondher Kebaier, a son système tactique bien défini et il a pu l’utiliser lors des quatre derniers matchs de la sélection avec des joueurs différents ce qui lui a permis d’identifier les lacunes et le manque de choix qu’il a surtout sur le front d’attaque. L’absence d’ailiers pouvant apporter de la percussion sur les cotés contraste avec la profusion de joueurs au milieu de terrain. Si les Ben Amor, Skhiri, Sassi, Ben Mohamed et Ben Slimane permettent d’avoir des solutions de rechange à l’entrejeu. L’attaque reste, elle, très limitée et oblige le sélectionneur à faire évoluer deux milieux et non pas deux ailiers en soutien de Khazri.

Avec un milieu composé d’une sentinelle (là aussi un poste qui manque de doublure selon Mondher Kebaier) et deux relayeurs, un front de l’attaque qui n’arrive pas à élargir le jeu qu’avec le support de ses arrières latéraux, le jeu de l’équipe nationale se trouve rapidement sclérosé et prévisible. Si le coach Mondher Kebaier loue les qualités de Msakni qui peut, à lui seul, débloquer un match, le danger apporté par un seul joueur ne peut donner de la consistance à la production de la sélection.

Après le premier match, Ali Mâaloul avait été virevoltant et avait permis d’animer un couloir gauche qui était le danger numéro 1 pour les tanzaniens. À l’opposé, Dräger, en deçà des attentes, ne pouvait à lui seul s’exprimer à droite avec un Rafiaa très axial et un Khazri qui demande le ballon trop bas. Si l’animation offensive du trio offensif a été décevante, c’est aussi car ces derniers ont péché dans leurs implications défensives. Le pressing inexistant, mettait de suite la pression sur le deuxième rideau et exposait le trio du milieu de terrain assez rapidement dans les phases de jeu défensives. Si lors du premier match, l’inefficacité du camp adverse a logiquement permis à la Tunisie d’afficher un clean sheet, le match retour à Dar Essalem aurait bien pu finir par une défaite au vu des occasions des locaux qui arrivaient à se projeter rapidement aux abords de la défense tunisienne.

Ce système, néanmoins, a les qualités de ses défauts. Il permet au sélectionneur de faire évoluer ses meilleures joueurs (les meilleurs joueurs ici sont ceux auxquels le coach fait confiance au vu de plusieurs paramètres: historique, rolex dans l’effectif en dehors du terrain, état d’esprit). Comme il l’a si bien défini lors de son intervention sur Forum Sport, Mondher Kebaier s’appuie sur une identité de groupe. Celle-ci compte parmi ses piliers Msakni et Khazri qui ne peuvent évoluer que dans ce système en l’absence de numéro 9 et au vu des munitions au milieu de terrain. Ce sapin de Noël est aujourd’hui aussi articulé autour d’une colonne vertébrale solide qui devrait perdurer : Ben Mustapha, la paire Bronn-Meriah, la sentinelle Skhiri et l’électron libre Msakni. Si la sélection nationale ne produit pas du jeu à toutes ses sorties, elle doit pouvoir garder une certaine consistance qui est clé dans les compétitions continentales et internationales. Le 4-3-2-1, permet aussi à la Tunisie de se reposer sur l’apport offensif de ses latéraux. La paire Drager/Kechrida à droite tout comme le duo Mâaloul/Haddedi à gauche représentent des profils de contre-attaquant très séduisants et pouvant faire mal à des défenses regroupés. Kebaier doit-il choisir son système en fonction des joueurs à disposition ou l’inverse ? Le coach semble avoir pris sa décision et à moins de blessures ou d’indisponibilités, il continuera à faire confiance au même système.

Le Management de Mondher Kebaier

Ayant systématiquement étayé ses réponses lors de sa récente intervention sur Mosaîque FM par des chiffres (et sans renier le fait qu’il y ait des points à améliorer, notamment pour Khazri), le sélectionneur national a eu l’occasion de clarifier sa méthode de travail et sa manière de gérer son groupe sur le plan mental et management. Optant pour une méthode basée sur « la pédagogie adaptative, le management par anticipation, la gestion au cas par cas et une communication de très haut niveau », Kebaier a insisté sur la gestion à la fois exigeante et bienveillante du groupe Tunisie.

Avec un profil académique de DTN préférant évoluer dans un environnement de travail structuré et réglementaire, Kebaier, un technicien très porté sur la data et dont le travail de collaboration avec son adjoint Adel Sellimi est basé sur l’analyse, la communication et le recueil d’informations, vit un véritable challenge dans un environnement devenu hostile.

Conscient de la nécessité (pour lui et pour ses joueurs) de répondre présent lors de la prochaine CAN et surtout lors des éliminatoires de la Coupe du Monde 2022, Kebaier peut encore bénéficier de « circonstances atténuantes » étant donné le contexte sportif très particulier de son mandat et la situation de ses joueurs qui est appelée à s’améliorer durant les prochains mois. Aussi, les phases de poules n’étant pas toujours révélatrices, le sélectionneur national pourra démontrer la bonne santé mentale de son groupe et la pertinence de ses choix, lui le planificateur reconnu et chevronné au sein des directions techniques..

Mais est-ce que la FTF est prête à patienter et surtout à le protéger ? Telle est la question.