Mauricio par Radhi..Témoignage sur les premiers pas en Angleterre de Pochettino

Après s’être fait une place dans le gotha du coaching mondial à travers notamment son expérience en Angleterre, Mauricio Pochettino, formé entre autres à l’école Bielsa, Camacho et Luis Fernandez, et récemment nommé à la tête du PSG, a marqué ses pairs dès ses premières années anglaises à la tête de Southampton. L’occasion pour Ettachkila de vous proposer le témoignage d’un coach qui l’a connu depuis une position privilégiée au sein du « Backroom Staff » (encadrement des U21, ndlr) des Saints en 2013. Une interview entre influence, mentoring et histoire commune...

Ettachkila : Radhi, tu as bien connu Pochettino le coach du temps où tu commençais à entraîner les jeunes de Southampton. Peux-tu d’abord nous situer le contexte de l’arrivée de l’argentin ?

Radhi Jaidi : Après avoir mis fin à ma carrière à l’issue de la saison 2011/12 sous les couleurs de Southampton, j’ai intégré l’Académie du club (l’une des meilleures d’Europe, ndlr) en Juillet 2012 en qualité d’Assistant Manager des U21 où j’ai commencé à apprendre les ABC du métier. Le coach des Seniors était alors Nigel Adkins, un personnage positif, fédérateur et très apprécié par les supporters (il est notamment l’auteur d’une « back-to-back promotion » ayant conduit le club de la League One à la Premier League). Mais en janvier 2013, face à la succession des mauvais résultats, le président exécutif du club, Nicola Cortese, prend la décision controversée de se séparer d’Adkins et de nommer Mauricio Pochettino. Un choix accueilli avec beaucoup de défiance et de scepticisme par les fans malgré la réputation de coach très prometteur de l’argentin qui a assuré un maintien miracle à L’Espanyol Barcelone en 2008/09 (8 victoires sur les 10 derniers matches et une première victoire au Camp Nou depuis 27 ans, ndlr) et transformé profondément le club. Le recrutement a par ailleurs été validé grâce à l’expertise du Head of Recruitment de l’époque, Paul Mitchell (l’actuel directeur sportif de l’AS Monaco).   

« Pochettino a la même importance à l’Espanyol que Cruyff ou Guardiola au Barça ».

Joan Collet (président de l’Espanyol, 2012)

Ettachkila : Comment Pochettino a-t-il alors réussi à faire l’unanimité et qu’est ce qui t’avait frappé dans sa méthode et ses valeurs ?

Radhi Jaidi : Pochettino s’est tout de suite imposé de par son comportement, sa façon de te parler et son influence sur toutes les composantes du club. Sa cohésion avec son staff est remarquable, c’est les mêmes gars qui l’accompagnent encore aujourd’hui au PSG (notamment ses assistants Jesús Pérez et Miguel Angel D’Agostino ainsi que Toni Jiménez, l’entraîneur des gardiens). Avec eux, Mauricio forme une boule aux mailles très solides. Par exemple à son arrivée avec son staff à Southampton, chaque matin et pendant un an et demi, ils venaient aux locaux du club (une sorte de corridor avec des bureaux à droite et à gauche) et saluaient individuellement tous les présents, de l’analyse jusqu’au simple employé : poignées de main pour les hommes, bises pour les dames, toujours le petit mot qu’il faut.. Ce rituel m’avait beaucoup marqué.

En plus de sa méthode et des valeurs de respect qu’il transmet au quotidien, il avait un don pour l’écoute et l’empathie et, surtout, il savait vraiment faire progresser ses joueurs comme notamment Rickie Lambert, attaquant très classique, lourd, à qui il a permis de franchir un cap et de devenir international à la faveur de beaucoup de travail spécifique : un travail physique et tactique propre à chaque joueur selon son poste et ses caractéristiques…Mais c’est surtout dans l’impact sur le jeu que Pochettino a vite mis tout le monde d’accord avec son système ambitieux d’attaque en possession (« progression through the thirds ») et de contre-pressing à la perte de balle. Et puis Mauricio s’intéressait tellement aux jeunes… 

Ettachkila : En parlant de jeunes, quelles étaient les interactions de Pochettino avec le staff des U21 dont tu faisais partie ?

Radhi Jaidi : Le lien était solide entre les départements Seniors et U21 à cette époque. Pochettino passait systématiquement nous voir 10 à 15 mn par jour afin d’exprimer ses besoins, prendre nos avis et discuter des profils de certains jeunes qu’il convoquait très régulièrement pour s’entraîner chez les A. Ces interactions m’ont permis de prendre la mesure du travail qu’il a fait pour les jeunes du club. On l’a vu depuis, avec les trajectoires des Luke Shaw, Calum Chambers, James Ward-Prowse et bien d’autres encore.. Il a changé la mentalité des jeunes de l’Académie.

Ettachkila : Gareth Southgate a déclaré au sujet de Pochettino que « le plus grand changement qu’il apporte à un club est du domaine physique». Dans quelle mesure partages-tu l’avis du sélectionneur anglais et comment se traduit cette exigence physique au quotidien ?

Radhi Jaidi : Effectivement, les exigences de Mauricio sur le volet physique sont très élevées. D’ailleurs dès son arrivée à Southampton, il a complètement chamboulé le planning de la semaine et les horaires, en doublant notamment les séances d’entraînements sur certaines journées. À l’entraînement, il reproduisait des séquences de jeu à très haute intensité dans des conditions quasi identiques aux matchs. Mais attention, le travail physique n’est pas séparé du ballon pour Pochettino, il travaille les deux ensemble.

Ettachkila : Vous êtes tous deux défenseurs centraux de formation, internationaux, autodidactes. Cela a-t-il accentué l’identification que tu as développé envers Pochettino, surtout que vous partagez la même philosophie ?

Radhi Jaidi : Pochettino est pour moi un mentor et une figure d’attachement. J’ai pu voir comment il travaille et pu intégrer ses méthodes dans mon apprentissage. Après, cette identification a aussi été facilitée par nos similitudes et nos valeurs qui sont le « hard work », le sacrifice, ainsi que le fait d’avoir pris nos carrières de joueur très au sérieux (Radhi Jaidi compte 105 capes avec l’équipe nationale tunisienne, ndlr).

Je constate aussi que nous avons un peu le même background : moi le natif de Gabès (ville du sud-est tunisien située à quelque 400 km de Tunis, ndlr) et lui, repéré à Murphy (petite ville de 4000 habitants dans la province de Santa Fe, à 4h de Buenos Aires, ndlr) où enfant, il travaillait dans les champs et conduisait le tracteur. Son histoire me parle, c’est un peu la mienne aussi : on vient du fin fond de nos pays respectifs. Notre devoir est de passer les bons messages..  

Ettachkila : Pochettino avait les équipes les plus jeunes du championnat en Espagne et en Angleterre, est ce que le choix d’une grosse « machine à bouffer les coachs » comme le PSG te semble judicieux ?

Radhi Jaidi : Mauricio a confirmé avec les Spurs (surnom des joueurs de Tottenham, ndlr). Il a réalisé l’exploit de développer une relative « small team » et de la hisser jusqu’en finale de la Ligue des Champions. Maintenant je pense qu’il veut gagner des trophées, et en cela, le PSG est un projet adéquat avec des atouts et des joueurs capables de gagner. Les deux parties possèdent le désir et la motivation pour remporter la Ligue des Champions. La valeur ajoutée de Pochettino sera, selon moi, sa capacité à faire progresser les joueurs (y compris Neymar et Mbappé). Avec lui, le PSG va franchir un palier.   

Ettachkila : Pochettino a affirmé son autorité dès sa première expérience de coach à l’Espanyol Barcelone (où il avait notamment écarté le capitaine et ex-coéquipier Raul Tamudo, ainsi que le préparateur physique, pourtant parrain de son fils). Comment le vois-tu gérer un vestiaire fort et compliqué comme celui du PSG ? (on se rappelle aussi qu’il a écarté Kane à son arrivée à Tottenham)

Radhi Jaidi : Mauricio est humainement très proche de ses joueurs, on a tout de suite vu ses gestes d’affection notamment envers Neymar à son arrivée à Paris.. Mais attention, sous ses airs de « nice guy » c’est quelqu’un qui peut être très tranchant dans son exigence et sa communication en one to one. C’est quelqu’un de fort, quelqu’un qui peut aussi pleurer (comme à l’issue de la rocambolesque qualification contre l’Ajax en demi-finale de la dernière LdC) mais qui reste très solide dans l’«achievement ».

Ettachkila : Êtes-vous restés encore en contact ?

Radhi Jaidi : Oui, une fois il est venu regarder une rencontre des U23 de Tottenham contre mes poulains à Southampton. Il s’est mis derrière le banc, plaçait des commentaires. En papotant après le match, il m’a déclaré l’effort que ça lui a coûté d’épurer l’effectif des Spurs…un effectif qu’il allait mener plus tard vers la finale de la Ligue des Champions. Il nous arrive encore de prendre des nouvelles l’un de l’autre..

Ettachkila : Dans son staff au PSG, Pochettino a ramené son fils Sebastiano (25 ans, préparateur physique & Sport Scientist). Un phénomène que l’on observe aussi chez Carlo Ancelotti, dont le fils Davide est entraineur assistant à Everton. Ces coachs affirment que la nouvelle génération leur apporte toujours quelque chose de différent. Y a-t-il des chances de voir un jour Jaidi Jr. dans ton staff et que peut-il t’apporter ?   

Radhi Jaidi : Il faut d’abord savoir une chose, c’est que pour la famille Pochettino (la maman, les enfants), tout est pensé et « sacrifié » pour le football. Après, pour mon fils, c’est sûr qu’il peut m’apporter un regard neuf mais tout dépendra de sa vocation et de sa spécialisation. Il n’en demeure pas moins que j’essaie de l’engager autour des concepts d’observation et d’analyse. Qui sait, il fera peut-être un jour partie du « Backroom Staff » et m’aidera à décortiquer les matchs (sourire)