Il fait partie des protagonistes ayant récemment contribué à l’accession historique de la Tunisie au Groupe I Monde de la Coupe Davis. Ce talentueux compétiteur, dont la maturité contraste avec le jeune âge, est revenu sur sa passion pour le Tennis et sur les éléments ayant jalonné son parcours. Une interview « no limits » du sportif mais aussi de l’homme, avec comme mots d’ordre : lucidité, ambition et mental.
Le tennis, comme le sport, Aziz l’a dans la peau. Foot (son grand-père était international tunisien), natation et tennis rythment l’enfance de cet hyperactif précoce. Mais c’est la passion de la balle jaune qui frappera le plus fort « La Doug » dès son plus jeune âge.
Aux côtés de son père au Tennis Club de la Marsa, le jeune spectateur attentif faisait office de ramasseur de balle et de sparring-partner à la fin de matchs entre des adultes décontractés, qui ne se doutaient pas encore que le gamin allait devenir l’un des tout meilleurs éléments de sa génération.
La formation et les figures d’attachement
Ettachkila : Bonjour et bienvenue Aziz. Comment es-tu tombé dans le tennis ?
Aziz Dougaz : Bonjour et d’abord merci pour cette invitation. Mes débuts furent assez classiques, mon père s’adonnait à sa passion tennistique les weekends en bon amateur et m’emmenait parfois voir ses matchs. Mes tout premiers souvenirs sont vagues, je devais avoir quatre ans ou quatre ans et demi, le bruit des raquettes m’intriguait, je kiffais chaque instant.
Mon père a été ma première et ma plus grande figure d’attachement ; on regardait ensemble le sport, tous les sports. Plus tard, j’assiste avec lui à l’éclosion de Nadal, un gaucher tout comme moi, qui se révèlera aux yeux du monde à 17 ans avec son premier Roland- Garros. Mon modèle était trouvé.
Ettachkila : Tu dois sûrement te rappeler de ta première raquette.
Aziz Dougaz : Bien évidemment ! Au départ, j’étais surtout mordu de sport : je jouais beaucoup au foot et enchaînait souvent avec le tennis dans la foulée. Le directeur technique du Tennis Club de la Marsa, un Russe, a fini par me remarquer lors de coups échangés avec mon père et a demandé à ce dernier de me présenter au prochain entrainement. C’était le début de l’aventure !
Ettachkila : Quels étaient les messages que t’adressaient tes parents durant cette période ?
Aziz Dougaz : Au début, ma mère me grondait un peu quand je laissais des traces de balles sur les murs de la maison (rires). Pour mon père, c’était : « éclate-toi ! », il m’emmenait aux tournois, sacrifiait ses weekends en sillonnant la Tunisie de Kairouan à Bizerte en passant par Monastir. Sa dévotion et sa passion étaient totales.
« Je suis un compétiteur dans l’âme »
Parti d’un peu plus loin que les meilleurs éléments de sa génération, le jeune marsois arrive à la catégorie minime en ayant la passion du jeu et de la victoire qui lui permettent de devenir un des favoris des tournois nationaux. S’il pratique un tennis plaisant grâce notamment à son revers, il y a déjà dans ses performances une grande place aux émotions. Il le dit lui-même : il faisait un peu le clown sur le terrain à ses débuts, gérait parfois mal ses émotions..mais tout ça est bien derrière lui.
Ettachkila : Que s’est-il passé pour que tu te transformes en compétiteur acharné ?
Aziz Dougaz: Entre mes 10-14ans, les choses se sont nivelées. Je suis un compétiteur dans l’âme, les défaites me faisaient mal. Mon premier déclic a eu lieu à 15 ans, le système scolaire m’astreignait aux cours de 8h à 18h et ne me laissait que très peu de temps pour l’entraînement. J’en ai parlé à mon père ; je ne voulais pas être un joueur lambda qui gagnait une fois sur deux.
Peu de solutions s’offraient à moi sur le plan national, c’est de la France que l’opportunité est venue. L’Académie de Tennis des Hauts de Nîmes (la HDN Academy) m’a proposé un contrat : un choix super difficile, faire des sports-études à 15 ans. On disait à mes parents que ce serait de la folie de laisser leur gosse partir tout seul mais après en avoir parlé avec mon père, je décide tout de même d’aller tenter le pari.
Ettachkila : Comment s’est déroulée cette expérience et quels enseignements en as-tu tiré ?
Aziz Dougaz: En France, je me sentais pour la première fois devenir Pro en développant mon tennis, mon physique et mon mental. Je commençais à avoir un vrai changement de perspectives, à rêver plus grand, surtout après ma finale aux Championnats d’Afrique Juniors.
Dès lors, j’étais pris en charge par l’IFT au centre de développement de Casablanca où il y avait les meilleurs coachs du continent. Je joue l’Open d’Australie, Roland-Garros et Wimbledon Juniors, le pied ! C’était aussi l’année de mon baccalauréat et je ne voulais pas non plus dévier de mes objectifs scolaires.
« En début de carrière, les jeunes reçoivent beaucoup de messages limitants. On nous fait souvent croire qu’il est impossible d’aller au-delà du TOP 50 parce que personne ne l’avait encore fait en Tunisie »
La métamorphose Américaine
Ettachkila : Tu fais le choix d’aller poursuivre tes études aux USA après ton Bac. Quel était ton projet à ce moment-là ?
Aziz Dougaz: Mon Bac ES en poche, j’étais à la croisée des chemins et il me fallait faire un choix entre aller à l’Université ou jouer mon va-tout en intégrant le circuit professionnel, ce qui impliquait de renoncer aux études. Sans structure ni aide financière solide, j’ai vite réalisé que cette seconde option était impossible et j’ai donc priorisé le combo sport-études en intégrant l’Université de Florida State.
Ettachkila : Comment ce choix s’est-il fait et quels enseignements en gardes-tu ?
Aziz Dougaz: Lors des tournois Juniors, j’avais été scouté par des coachs américains. On m’a présenté un Package qui me permettrait de passer Pro (avec une bourse, des objectifs et un programme qui vise, à terme, à te faire entrer dans le Top 100). L’Université de Florida State présentait également pour moi tous les atouts de réussite : études, climat parfait pour jouer en extérieur toute l’année (l’air de la mer était semblable à celui de La Marsa). Le choix s’est donc imposé comme une évidence
J’étais parti « gamin » et cette expérience m’a fait énormément grandir en tant que personne : j’ai appris à vivre tout seul pendant 4 ans et me suis rapidement intégré. Mon coach Dwayne Hultquist est d’ailleurs toujours super impliqué, on s’appelle encore presque tous les jours. Mais le plus grand déclic personnel a été d’ordre mental : aux USA, c’est la culture « zéro limites », chaque gosse a le droit de rêver s’il met en place un objectif clair et concret. Tu veux toucher la lune ? Et bien on va te donner tous les moyens pour atteindre ton rêve. Ce nouveau mindset a complètement métamorphosé ma façon de voir les choses.
Ettachkila : Physique, nutrition et mental : comment as-tu appris à gérer ces leviers de performance, surtout le mental qui subit le plus de variabilité entre les matchs ?
Aziz Dougaz: Mon passage en France m’a permis de me « professionnaliser » en augmentant mes heures d’entraînement et en bénéficiant d’un accompagnement mental, mais c’est aux Etats-Unis que l’impact sur mon mental a été le plus important. L’environnement a une énorme influence sur ton approche et le mental se travaillait au quotidien : le travail, l’objectivation, le positif. On t’accompagne pour réussir « no matter what ».
Ettachkila : Cette culture permanente de la performance n’a-t-elle pas crée de l’appréhension ou des doutes chez toi ?
Aziz Dougaz: À un moment donné oui, notamment sur la question de passer Pro ou de finir la Fac. Je voyais des copains ayant arrêté leurs études, comme Lloyd Harris, percer sur le circuit Pro (le sud-africain est 31e au classement ATP, ndlr). C’est un risque à prendre et lors de ma 1ère année j’étais un peu en proie à ce paradoxe, j’étais dans la comparaison. Mais je me suis vite recentré sur ce que je pouvais contrôler, sur mes objectifs. Le travail mental m’a permis d’avoir des stratégies de régulation quand je galérais : j’ai appris à accepter, à « poser la raquette » pour souffler un peu et repartir de plus belle. Et puis hormis Lloyd Harris, il y a aussi plusieurs contre-exemples, des garçons qui ont complétement disparu des radars après avoir abandonné leurs études.
« Face à la difficulté, tu dois créer ton propre chemin »
Ettachkila : Quels sont les atouts sur lesquels tu t’appuies pour faire face aux difficultés ?
Aziz Dougaz: Je citerai principalement trois forces ou facteurs-clés :
- Ma force mentale : malgré toute la bonne volonté de la Fédération (et à sa tête Mme Salma Mouelhi qui fait un grand travail à l’international et que je remercie pour son support) et l’aide matérielle de mes proches, il y a toujours cette frustration liée à l’insuffisance des moyens par rapport à ce que requiert le tennis de haut niveau. Ce n’est pas un hasard si 70% des joueurs du Top 300 sont issus des grandes nations du Tennis (l’Espagne, la France, l’Italie, l’Argentine). Face à cette situation qui a poussé beaucoup de tunisiens à abandonner, j’ai appris à contrôler mes émotions et à me concentrer sur mon jeu car chaque tournoi est une nouvelle chance ; il n’y a qu’à voir l’exemple de Carlos Alcaraz (premier joueur de la génération 2003 à remporter un match en Grand Chelem, ndlr) ou Emma Raducanu (victorieuse de l’US Open en étant classée au-delà de la 120e place).
- Ma qualité technique : je suis gaucher et c’est un avantage concurrentiel face à certains de mes adversaires. Dans mon for intérieur, je me dis toujours que le jeu est entre mes mains. Quand je suis prêt physiquement, je peux battre n’importe qui.
- Et enfin, ma passion pour le tennis : c’est peut-être ma plus grande force. Dans le tennis, tu es très seul, tout le temps. C’est une bataille avec soi-même où tu mets aussi une croix sur ta vie sociale mais c’est cette passion qui me fait avancer.
Tunisie, le tennis de tous les paradoxes et de tous les espoirs
Ettachkila : La Tunisie, qui vient d’accéder au Groupe I Monde de la Coupe Davis, a produit, malgré des moyens dérisoires, des champions comme Salima Sfar, ton coéquipier Malek Jaziri et notre Top 10 WTA, Ons Jabeur. Commet expliques-tu cette « over performance » ?
Aziz Dougaz: Si on regarde les aides accordées et les budgets très réduits avec lesquels les joueurs tunisiens doivent tenir 12 mois, c’est vrai qu’on peut dire qu’on « over performe ». Garder espoir est notre seule arme. Je crois que culturellement c’est un phénomène qui nous est propre : se débrouiller et faire plus avec moins. D’une certaine manière, c’est ça aussi être tunisien (sourire). À nous donc de montrer le bon exemple et de tout donner.
Ettachkila : Que faut-il pour produire d’autres modèles pour la jeunesse comme Ons Jabeur ?
Aziz Dougaz : Ce que fait Ons est phénoménal. C’est aussi la preuve que, malgré les obstacles, le talent combiné à la persévérance finit par payer. Pour moi, Ons possède le talent d’une Top 4 mondiale. Mais de façon plus globale, je dirais que ce qu’on fait en 5 ans, pouvait être obtenu en 1 an. C’est peut-être pour cela aussi qu’un autodidacte comme Malek Jaziri (seul tunisien à être entré dans le Top50, ndlr) se soit révélé aussi tard ou que Ons ait pris beaucoup de temps pour être là où elle mérite d’être aujourd’hui.
Ettachkila : Les exigences matérielles du haut niveau échappent parfois au grand public. Pourrais-tu nous donner une idée sur ce qui ralentit justement un joueur de Tennis Pro en Tunisie pour entrer dans le gotha mondial ?
Aziz Dougaz : Le tennis est un sport où l’on est en permanence dans les tournois, où l’on voyage tout le temps. Pour lutter durablement avec les meilleurs, il faut un plan, une organisation, s’entourer de compétences (notamment coach, préparateur physique, kiné, préparateur mental) avec tous les frais très considérables que cela engage (des frais qui sont démultipliés quand tu voyages avec ton équipe).
En gros, ton plan et ta préparation dépendent de tes moyens financiers. En ce qui me concerne, j’ai une carrière qui s’est faite au fil des rencontres. Par exemple, fin 2020 je suis en tournée au Brésil, je suis seul et je rencontre un excellent coach brésilien que j’avais connu aux USA. Il me propose de rester 5, 6 semaines au Brésil pour me préparer à prix d’ami. J’ai sauté sur l’occasion, c’était ma meilleure préparation mais c’était complètement improvisé.
Parfois, je ne vois pas mon coach 3 semaines faute de moyens, je travaille avec mon préparateur physique à distance, je fais le visionnage tout seul. Mais malgré tout, je regarde vers l’avant : je suis 335e (son meilleur classement, au moment où nous réalisions cette interview) et je me dis toujours que je suis capable d’arriver au Top et d’y rester.
Ettachkila : Quelle analyse fais-tu du circuit Pro avec le resserrement du niveau entre les 300-400 premiers ?
Aziz Dougaz : Avec la pandémie du Covid et le système de défense de points, le classement est quelque peu tronqué avec des positions quasiment inchangées depuis plusieurs mois dans le Top 250-350. Il y a même un joueur désormais reconverti en coach mais qui est toujours resté 350e au classement ATP depuis 2 ans (rires). Je pense que dans quelques mois, les choses vont se régler et se sera une vraie lutte entre la 60e et la 350e place ; la marge est super fine, on l’a vu avec Botic Van de Zandschulp (quart de finaliste issu des qualifications au dernier US Open, ndlr) : sa vie a changé en 10 jours. Ces exemples me font garder espoir et me poussent à continuer à travailler dur.
Ettachkila : Un mot sur la libération de la parole autour de la santé mentale depuis le précédent Naomi Osaka et les révélations notamment de Mardy Fish ?
Aziz Dougaz : Dans le sport de haut niveau, où tu ne peux pas montrer ta faiblesse à l’adversaire, le mental est prépondérant. Si on apprend à gérer la défaite par la force des choses (99% des joueurs du circuit perdent chaque semaine), refouler ses émotions peut être très dangereux et les cas de troubles mentaux ou d’anxiété sont nombreux. C’est pour cela que j’encourage les sportifs à s’exprimer, mais surtout à discuter avec des spécialistes, des préparateurs compétents ou simplement des personnes de confiance.
Ettachkila : Quelle projection fais-tu à date pour ta carrière ?
Aziz Dougaz : Après notamment un Challenger à Tenerife et l’objectif Groupe I de la Coupe Davis désormais atteint, j’ambitionne de descendre sous la barre de la 300e place mondiale très rapidement, puis d’entrer dans le Top 250 en 2022 afin être éligible aux Qualifications des tournois du Grand-Chelem. Il y a des opportunités toutes les semaines et à moi de les saisir pour garder le cap sur mon objectif ultime : toucher la lune !
Ettachkila a enfin souhaité poser quelques questions introspectives à Aziz Dougaz, qui s’est prêté au jeu avec son dynamisme habituel.
Ettachkila : Qu’est ce qui te distingue des autres ?
Aziz Dougaz : Mon chemin vers mon rêve absolu est semé d’embûches que la grande majorité des adversaires n’ont pas. C’est ce qui fait la beauté de mon projet et ce qui fera que ma réussite soit beaucoup plus significative.
Ettachkila : Qu’es-tu capable de refuser ?
Aziz Dougaz : L’argent en faisant des choses contraires à mes principes, mes valeurs, mon éthique.
Ettachkila : À quoi as-tu renoncé ?
Aziz Dougaz : J’ai fait beaucoup de sacrifices pour le tennis, socialement et surtout financièrement. Mais ça en vaut la peine parce que c’est un rêve qui me guide et qui me donne la force d’avancer.
Ettachkila : Qu’aimerais-tu recevoir pour ton anniversaire ?
Aziz Dougaz : L’idéal serait une aide financière de quelques sponsors. Cela me permetrait de monter plus vite au classement et pouvoir me rapprocher des conditions de travail et d’encadrement de mes adversaires.
Ettachkila : Qu’est ce qui te fait lever le matin?
Aziz Dougaz : C’est de me dire qu’au bout du tunnel, je serai sur les grands tournois en train de m’épanouir et de hisser très haut le drapeau tunisien.
Une interview réalisée par Khlil Zariat, Walid Helali et Habib Zili