« Bicha », la petite merveille du Kef

Après les plaines de Kasserine, cap sur les Monts du Kef et plus généralement le Nord-Ouest, pourvoyeur de nombre de joueurs aux fortunes diverses, ayant marqué le football tunisien.. Ettachkila vous propose ce portrait de « Bicha ».

Aux origines d’un jeune surdoué

C’est non loin du stade historique « Ben Jilani » et plus précisément au quartier Hached au Kef, bastion du bientôt centenaire « Olympique », qu’a grandi le jeune Mourad Chebbi, un surdoué aux qualités techniques très supérieures à la norme et rarement vues dans la région..

Le jeune attaquant était un peu chétif mais très rapide dans son registre de 9 et demi et surtout extrêmement doué balle au pied…
Du fait qu’il était surclassé dans toutes les catégories de jeunes de l’OK, Mourad avait une tête de moins que ses coéquipiers, ce qui lui valut d’être affectueusement surnommé « Bicha » par les supporters kéfois (autre appellation de « bissa » dans certaines régions de la Tunisie, littéralement : « bille »). Un joli sobriquet qui l’accompagnera toute sa carrière.

Et le petit « Bicha » devint grand

Une fois installé chez les Séniors, « Bicha » brilla de mille feux au sein d’une génération composée des Imed Ayari, Tarek Touhami et autre Chedly Mabrouki.. Une génération qui se voulait fidèle à la tradition du beau jeu Kéfois des illustres Terbourski, Zoghlami, Mounir El Jayez ou encore Kamel Ben Brahim (le fameux « Brahim é Chef »)…

Malgré parfois un rapport de forces disproportionné et quelques scores fleuves encaissés par son équipe, le joyau et très jeune capitaine du Kef enchainait les gestes techniques et montrait des qualités de leadership qui ne tardèrent pas à attirer les convoitises des grandes écuries de la « Nationale A » (ancienne appellation de la Ligue 1 Tunisienne)… Il finit par atterrir à la machine à gagner de l’Espérance où, épreuve ultime, il devait se mesurer à l’ultra exigence de son public.
C’était la saison 1996/97 et « Bicha » avait maintenant tout à prouver dans son nouvel environnement…

Un « Rise and Fall » retentissant

Techniquement, « Bicha » était très rapide balle au pied sur son couloir, avait une facilité de dribble déconcertante et était doté d’une excellente qualité de frappe… De l’avis de ses coéquipiers en attaque de l’époque (Abdelkader Belhassen et Sami Laaroussi pour ne citer qu’eux), Bicha était techniquement au-dessus du lot et jouait dans la cour de Ayadi Hamrouni en termes de qualité pure…
Son association avec Ayadi, la perle noire, avec qui il montra rapidement une belle complémentarité, avait de quoi séduire les habitués du Parc B. (Par ailleurs l’ex-entraîneur de la Juventus, Gigi Maifredi, au passage très éphémère sur le banc de l’Espérance, confirmera tout le bien qu’il pense de ces deux joueurs).

C’est avec coach Khaled Ben Yahia, revenu remettre de l’ordre à la maison Espérance en 97, que « Bicha » connût la réussite qui le mènera en Equipe Nationale. Il faut dire que « Bicha » ne défendait pas bien et n’avait pas un profil de passeur classique, mais le 4-3-3 alors pratiqué par Ben Yahia était le schéma qui lui permettait de s’exprimer au mieux en tant qu’attaquant d’intérieur, capable de dribbler, repiquer vers l’axe et de réussir le dernier geste… La voie semblait tracée

Mais avec l’avènement de Youssef Zouaoui et de son 4-4-2 la saison suivante, la donne changea complètement ; « Bicha » n’était ni l’ailier travailleur ni l’attaquant de surface, encore moins le meneur de jeu classique requis par le coach. Il commençait à faire banquette (une situation à laquelle il n’était ni habitué ni vraiment préparé) et à perdre la concentration jusqu’à devenir l’ombre de lui-même… Le fameux épisode de la soirée (avec Hamrouni) ayant précédé le derby en Coupe de Tunisie 1998 (perdu une semaine plus tard) finira par précipiter son départ sur la pointe des pieds mais surtout sur un énorme goût d’inachevé voire d’injustice (il ne présentera pas d’excuses et n’aura pas droit pas à une deuxième chance mais quittera le navire en silence après 2 saisons passées chez les Sang et Or).. Il prendra le chemin des Emirats Arabes Unis pour faire deux piges assez anecdotiques chez les Khor Fakkan puis au Sharjah FC..
Suivra un retour au bercail à l’Olympique El Kef, où il terminera son parcours là où il l’avait commencé, au club de ses premières amours… Toujours sans faire de bruit mais presque dans l’anonymat.

Verdict mitigé sur une carrière « gâchée »

Au vu des grandes qualités de l’enfant du Kef, tous les connaisseurs s’accordent encore aujourd’hui à dire que « Bicha » est passé à côté d’une grande carrière.
Mais le foot est ainsi fait, il suffit parfois d’un rien (un rien de la taille d’une bille en l’occurrence) pour changer le cours d’une carrière… Celle de Mourad Chebbi l’a tout de même vu remporter :

• Une Supercoupe Arabe en 1996
• Une Coupe de Tunisie en 1997
• Un Championnat de Tunisie & Une Coupe d’Afrique des vainqueurs de coupe en 1998

Alors malédiction ou belle consolation ? Celui qui jouit encore d’un très grand capital sympathie en Tunisie, suscitera encore des sentiments mitigés..
Mais de « Bicha » on se souviendra surtout d’un artiste du ballon rond et d’un digne descendant de la grande école du Kef, qu’il a servie en tant que joueur puis entraîneur, et qui ne manquera pas de lui réserver une place de choix dans son panthéon à l’occasion de son Centenaire dans 2 ans…