Si la Coupe du monde au Qatar a quelque peu sauvé les apparences d'un football tunisien navigant en eaux troubles depuis quelques années, les Aigles de Carthage ont toutefois exposé les carences d’une sélection incapable de briser le plafond de verre du premier tour. Endigué par plusieurs problématiques de fond, le football tunisien en est à un moment critique et la responsabilité incombe à tous les acteurs majeurs, sans exception. Ettachkila a tenté de décrypter ce dossier complexe à travers une série de 5 chapitres. Place à la formation dans ce premier Focus.
Très critiqué depuis la défaite face à l’Australie, le sélectionneur Jalel Kadri, malgré l’un des meilleurs bilans tunisiens en six participations à la Coupe du monde (avec une victoire de prestige devant la France), a tout du coupable idéal pour la Fédération Tunisienne de Football. Discrètement promu à la tête des Aigles de Carthage en mars dernier en lieu et place de Mondher Kebaier dont il était l’adjoint, Kadri, pourtant réputé homme de confiance du président Wadii Jary, pourrait subir le même sort que ses prédécesseurs et prendre la porte à peine quelques mois après son arrivée. Néanmoins, les performances en dents de scie de la sélection ces dernières années ne s’expliquent pas uniquement par les choix des coachs, loin de là. Si les chantiers prioritaires de notre football ont longtemps été cachés sous le tapis, il devient impératif d’agir pour éviter le déclassement.
Une formation en déclin.. dans l’indifférence totale
Fin octobre, les Aiglons de Maher Kanzari sont tombés de haut face au Congo-Brazzaville lors du deuxième tour éliminatoire de la CAN U23. Les tunisiens ne verront ni la CAN au Maroc, ni les Jeux Olympiques de Paris 2024. Pourtant, les espoirs de voir cette talentueuse génération aux JO étaient énormes (la dernière participation tunisienne remontait à Athènes en 2004), mais, malgré des résultats encourageants chez les U20 et les U17, ce cuisant échec est venu confirmer le malaise qui touche aux sélections de jeunes en Tunisie
Il ne faut pas chercher trop loin pour trouver les principales raisons de ce « downgrade » : des clubs historiques tels que la JS Kairouanaise, l’Olympqiue de Béja ou l’Olympique de Kef, les bassins riches en talents de la banlieue de Tunis comme El Mellassine ou El Kram, ou encore les régions de Gabès ou du Sahel (qui ont sorti les Badra, Jaidi, Baya, Hamrouni, Jaiziri ou les frères Sellimi pour ne citer qu’eux) réputés pour la qualité de leur formation et qui représentaient jusqu’à un passé assez récent un immense réservoir pour les grands clubs et la sélection, sont aujourd’hui complètement délaissés et incapables d’assurer leur rôle social et sportif. Mais ce n’est pas tout..
Un malaise profond pour un sujet complexe
Afin de cerner de manière plus complète la question de la formation des jeunes, il faut regarder sous « l’iceberg » des seniors et du résultat : avec des clubs historiques aux infrastructures désuètes et la disparition des « b’tahi » (terrains de quartiers, ndlr) et des classes sportives dans les lycées sur l’ensemble du pays, d’autres causes du problème sont à chercher dans le système scolaire dont les plannings inadaptés à la pratique du sport génèrent à terme un déficit qualitatif et quantitatif d’heures d’entrainement creusant chaque jour un peu plus le gap qui sépare nos jeunes (particulièrement entre 15 et 19 ans) de leurs camarades de pays plus développés, comme nous confiait Amine Neffati, actuel entraîneur adjoint de l’Équipe Nationale des U20, dans une précédente interview.
Si beaucoup de jeunes se sont dès lors tournés vers des académies plutôt sélectives et souvent inaccessibles, qui (à quelques exceptions près) tardent à alimenter les clubs de l’élite, ce constat explique en partie la récente tendance des clubs de la LP1 (en particulier le Big Four) à se tourner vers des joueurs venant d’Algérie ou de Libye au lieu de donner leur chance à des jeunes du cru relégués à un rôle secondaire, voire complètement mis à l’écart dans certains cas. Pourtant, avant le tournant des 15-19 ans dont on a parlé plus haut, nos jeunes n’ont rien à envier (en termes de qualité intrinsèque) à leurs homologues européens, comme en témoignent nos participations aux Mondiaux U17 de 2007 et 2013 (deux qualifications aux 8e de finale, ndlr)
Si cette première lecture peut permettre d’envisager des solutions avec une certaine lucidité, les coulisses de la formation en Tunisie sont encore plus effarantes : des parents omniprésents et interventionnistes, des jeunes « pistonnés» et « favorisés », des pots de vins parfois obligatoires, sans parler des conditions de travail et d’entraînement souvent précaires pour nos futurs joueurs. Le mal est donc profond et le temps de la reconstruction a sonné pour permettre à la formation tunisienne de retrouver son lustre d’antan.
Et maintenant ?
La fédération se doit désormais de montrer l’exemple et d’impulser du sang neuf en mettant en place une vraie stratégie de développement, avec un Directeur Technique de renom, en arrêtant le recyclages des mêmes noms, les renvois d’ascenseurs, en commençant à faire confiance aux jeunes entraîneurs novateurs et, surtout, en aidant les clubs dits « formateurs » à surmonter leurs difficultés financières. Bien évidemment, l’Etat tunisien a aussi une grande part de responsabilité mais c’est uniquement en unissant les efforts que les choses peuvent avancer. L’investissement implique, certes, des moyens (bien qu’il pourra aussi rapporter gros sportivement et financièrement) mais si la Tunisie a souvent réussi à faire « plus avec moins », notre salut passera par un meilleur encadrement ainsi qu’un travail académique, professionnel et réfléchi. À bon entendeur.
Les binationaux, quitte ou double.. (À venir)