Futurs adversaires en CAF Champions League pour le compte des deux prochaines journées du Group C, Radhi Jaïdi et Roger Lemerre se retrouvent après le sacre africain de la Tunisie en 2004 pour un duel par bancs interposés entre l’Espérance Sportive de Tunis et l’Etoile Sportive du Sahel. Retour sur une belle histoire commune avec des enjeux désormais opposés.
Alors que L’Espérance affronte l’Etoile dans un classique du football tunisien au parfum africain, les regards seront, en plus de la pelouse, braqués sur deux coachs : Roger Lemerre (80 ans), le technicien français qui a marqué l’histoire des Aigles de Carthage et son ancien protégé et international aux 105 capes, Radhi Jaïdi (46 ans), qui lui tient une admiration non dissimulée.
Il faut dire que depuis le tirage au sort des poules de la CAF Champions League, l’affiche était, à plus d’un titre, attendue par tous les amoureux du ballon rond en Tunisie. Au-delà de la traditionnelle (et très passionnée) rivalité sportive entre ces deux clubs, une curiosité s’était ajoutée sur les bancs de touche : entretenant une relation spéciale depuis l’arrivée du technicien tricolore à la tête de la sélection tunisienne en 2002, le maître et l’élève s’affrontent pour la première fois après avoir vécu des moments inoubliables, en particulier pendant la CAN 2004, seul sacre majeur du football tunisien à ce jour. Mais l’histoire de Jaidi et Lemerre s’est écrite bien avant l’épopée de Radès. Flashback..
Aux origines d’une histoire commune
Devenu un pilier de la défense de l’Espérance au prix d’années de travail acharné, Radhi Jaidi, le natif de Gabès à l’imposant physique de NBA que ses 46 ans n’ont pas beaucoup altéré, retrouve un « Général » avec lequel il partage un passé commun au sein de l’institution Sang et Or. Il faut en effet remonter à la saison 1983/84 et plus précisément au lendemain du départ du président du club de Bab Souika, feu Naceur Knani, et du coach Mrad Mahjoub en pleine saison pour situer les premiers pas de l’octogénaire et militaire de formation, Roger Lemerre, en Tunisie.
À la tête d’une Espérance à la croisée des chemins, Abdelhamid Achour, alors président du club, prend la décision de recruter le natif de Bricquebec, encore parfait inconnu. Autoritaire et psychorigide, Lemerre n’est pas particulièrement apprécié par les joueurs d’autant plus qu’il les soumet à une forte charge de travail physique.
Hormis une victoire à Sfax contre le CSS, L’Espérance réalise alors une phase retour ponctuée par une élimination en Coupe de Tunisie contre le Stade Gabésien (le club formateur de Radhi Jaïdi) et une 4e place au classement, loin derrière le CAB, futur champion de Tunisie. Des débuts difficiles qui ne sont pas sans rappeler les premières semaines du champion du Monde 1998 à la tête de l’Etoile du Sahel en 2013 et 2018; deux passages à l’issue desquels il laissera une empreinte indélébile avec une Coupe de Tunisie en 2014 et une Coupe arabe des clubs champions (remportée face à Al Hilal) en 2018.
En bon militaire et éducateur consciencieux qu’il est, Lemerre laisse à son futur successeur (le champion du Monde 1962 Amarildo, qui remportera à la tête de la « Mkachkha » une Coupe et un Championnat de Tunisie avec un jeu révolutionnaire pour l’époque) des fiches complètes sur les aptitudes techniques, physiques et psychologiques de chaque joueur et conseille de bâtir la prochaine équipe autour de Khaled Ben Yahia, Nabil Maaloul et Tarak Dhiab (comme y est longuement revenu Mohamed Ali Ghrib dans son livre « L’histoire amoureuse d’un Espérantiste », ndlr)
Quand le soldat rencontre « le Général »
Avant d’atteindre « The » Next Level et de partir pour la Premier League chez les Bolton Wanderers, Radhi Jaidi sera fortement impacté par le champion d’Europe ressuscité. À la tête des Aigles de Carthage de 2002 à 2008, le technicien français a instauré une approche de travail qui aura marqué toute une génération. Fort de son expérience avec les Bleus et au Bataillon de Joinville, Lemerre a inculqué à son groupe des notions basées sur la discipline, le mérite et le dépassement de soi.
Pour y arriver, il s’est appuyé sur un groupe de tauliers à l’instar notamment de Khaled Badra, Riadh Bouazizi, Zied Jaziri et Radhi Jaidi. Le rugueux défenseur sous influence US a continué son apprentissage avec le français en remportant une CAN 2004 d’anthologie avant de disputer la Coupe des Confédérations, puis la Coupe du Monde 2006 en Allemagne. Roger Lemerre aura passé six années d’affilée à ce poste (le mandat le plus long pour un sélectionneur de la Tunisie depuis 1957). Une expérience qui marquera profondément Radhi, pour qui Roger sera toujours un mentor et un père..
Roger Lemerre a marqué une très belle période de la Tunisie, j’ai beaucoup appris de lui, comme coach, mais aussi comme personne. C’est vrai qu’il nous a emmenés jusqu’à la victoire à la CAN, mais au niveau personnel, il m’a aussi apporté. Je suis devenu plus professionnel, et c’était essentiel pour que je puisse tenter ma chance en Europe. Roger est quelqu’un de très spécial dans ma carrière, même si c’est vrai que c’est aussi quelqu’un de particulier. Il faut se rappeler que son background, c’était d’entraîner les militaires, donc la discipline était primordiale chez lui.
Radhi Jaidi – So Foot, 25 juin 2020
Le tunisien évoque souvent dans ses interviews à quel point son ancien sélectionneur l’avait influencé et aiguillé dans sa décision de devenir coach : « J’ai eu des entraîneurs du Brésil, d’Italie, de France et de Suisse. Cela m’a donné beaucoup de contacts avec différentes cultures et approches. Il y avait des entraîneurs ouverts et d’autres plus fermés, des entraîneurs agressifs et d’autres plus détendus. Roger Lemerre m’a donné une direction. J’avais déjà des idées avant de le rencontrer, mais Roger Lemerre m’a amené à une autre idée de ce qu’un entraîneur professionnel pouvait accomplir » a t-il également déclaré dans une interview pour Foot365.
Une histoire en perpétuelle réécriture..
Près de quatre décennies après les premiers pas tunisiens de Lemerre, et à l’issue notamment de 11 ans dans le «Backroom Staff» de Southampton où il apprend au contact de coachs comme Mauricio Pochettino, Radhi Jaidi, Licence UEFA Pro en poche, revient à la barre technique d’une Espérance en fin de cycle pour s’inscrire dans un projet de transformation qui le voit, depuis août dernier (et dans un scénario un peu similaire à celui de Lemerre des débuts des 80’s), installer une nouvelle culture et opérer une refonte à plusieurs niveaux du club de Bab Souika, avec une approche basée sur la data et l’objectivation des performances.
Après une phase Aller maîtrisée en championnat (l’Espérance est leader de sa poule) et un démarrage de group stage réussi en Champions League (1ère place après une large victoire inaugurale contre le Jwaneng Galaxy et un nul en Algérie chez le CR Belouizdad), Radhi Jaidi retrouve son mentor pour une opposition classique face à une Etoile au bord de l’implosion. Revenu à la rescousse d’un club qu’il ne connaît que trop bien, Lemerre, qui n’a jamais caché sa reconnaissance envers la Tunisie, essaie depuis son arrivée de remobiliser un groupe touché par un contexte économique très compliqué. Malgré l’élection du jeune président Maher Karoui à la tête du club (à la place d’un Ridha Charfeddine poussé vers la sortie), la situation sportive demeure critique avec une actuelle dernière place en championnat (l’Etoile compte toutefois un match en retard) et deux petits points engrangés en Champions League (avec un frustrant match nul concédé dans le temps additionnel au Botswana face au Jwaneng Galaxy).
S’il s’est dit plus préoccupé par la situation de l’Etoile en championnat (qui reste sa priorité) Roger fera tout pour relancer le club au classement du groupe C dans le duel inédit qui l’opposera à son élève. Un duel jusqu’ici à l’avantage des Sang & Or, qui n’ont perdu aucune de leurs six confrontation en CAF Champions League face aux étoilistes depuis 2005 (un bilan de 4V et 2N).
Rendez-vous dès ce samedi à Radès (14h) pour des retrouvailles musclées mais forcément émouvantes entre un maître et son élève qui, le temps d’un match, ne se feront pas de cadeaux.