Après avoir foudroyé en demi-finale les sud-africains du Mamelodi Sundowns à Pretoria lors de la saison écoulée, l’Espérance Sportive de Tunis vient de quitter prématurément l'actuelle édition de la Ligue des Champions de la CAF après son nul 0-0 au match retour (défaite 0-1 à l’extérieur) face aux mêmes Brazilians. Retour sur une élimination presque annoncée.
Cette désillusion, le club de Bab Souika va devoir rapidement la digérer, lui qui reste sur une mauvaise passe de 5 victoires lors des 10 dernières rencontres toutes compétitions confondues. Une série inhabituelle qui s’explique, entre autres, par des choix discutables depuis l’automne dernier, mais pas seulement..
Trois coachs en six mois
L’année d’une édition exceptionnelle de la Coupe du Monde des Clubs USA 2025, l’Espérance Sportive de Tunis n’avance plus. Pis encore, les Giallorossi s’enlisent dans un cycle d’instabilité chronique qui interroge la gouvernance du club. En l’espace de six mois, pas moins de trois entraîneurs se sont succédés sur le banc. Une valse illustrant une absence de vision manifeste et des choix émotionnels parfois dictés par la pression des réseaux sociaux.
Les choses ont commencé à s’accélérer avec Miguel Cardoso, entraîneur portugais (celui même qui a éliminé Sundowns la saison dernière) : arrivé en pompier averti et ayant pu délivrer des résultats rapides (bien aidé en cela par les surperformances du gardien Memmiche et de l’avant-centre brésilien Rodrigues) malgré un système de jeu toujours sur la tangente et des xG faibles. Après une entame de nouvelle saison en demi-teinte et une préparation ratée, la direction se sépare du technicien lusitanien en octobre 2024 pour jeter son dévolu sur Laurențiu Reghecampf, un coup de poker.

Malgré des prémices d’un jeu offensif, une place de leader retrouvée au niveau local, une Supercoupe de Tunisie et quelques matchs référence sur le continent (notamment cette probante victoire contre Pyramids en poules), le roumain est à son tour éjecté en mars 2025, après avoir lâché trop de points contre des équipes de standing inférieur. Une décision contestée par une bonne frange des supporters Sang & Or estimant qu’il n’a été ni plus soutenu ni plus objectivement évalué que son prédécesseur.

S’en suivra la nomination de Maher Kenzari à deux semaine du virage de la saison contre Sundowns à Pretoria. Insuffisant pour préparer au mieux une confrontation de ce calibre, qui plus est avec un héritage commun : une défense décimée par la blessure du capitaine Yassine Meriah en novembre. Malgré toutes ses bonnes intentions et un score serré sur l’ensemble des 2 manches, le coach tunisien a dû constater le gap avec les Bafana Ba Style Downs et devra switcher sur le sprint final d’une compétition locale qui s’annonce ultra serrée.
Le saviez-vous ?
Sept joueurs de Sundowns étaient présents dans le onze de départ lors la demi-finale qui l’ont opposés à l’Espérance en 2024. Côté Sang & Or, seuls quatre joueurs ont gardé leurs places.
Trois entraîneurs en six mois, ce n’est pas une statistique, c’est un symptôme. Celui d’un club qui ne sait plus où il va et qui sape lui-même ses fondations. L’Espérance, symbole local de rigueur et de constance, ressemble aujourd’hui à un navire à la dérive, conduit par un système à réaction qui ne tolère plus les projets à moyen-long terme et réclame des résultats instantanés… quitte à tout détruire à chaque fois.
Reçu sept sur sept
Il faut remonter au moins à l’été 2021 pour essayer de situer l’origine de cette dernière valse. À l’époque, l’Espérance, forte de ses deux Ligues des Champions successives justifie pleinement son surnom d’Ogre d’Afrique (comme aiment à la surnommer ses aficionados). Le départ de Mouine Châabani est compensé par la nomination de la légende du club, Radhi Jaidi, arrivé avec l’ambitieux projet d’une Espérance 2.0 modernisée dans le jeu et dans les méthodes de travail. Mais en moins d’un an, une Supercoupe de Tunisie et une cruelle élimination en quart de finale de CL plus tard, le champion d’Afrique 2004 est remercié. Depuis, les choix d’entraîneurs n’obéissent à aucune logique : entre intérims qui durent et rappel des ex, Lemkachkha grimace, et pour cause : en moins de 4 ans, le club aura nommé 7 techniciens différents, soit une durée de vie de 7 mois par entraîneur.

Dans une institution Espérance où seul le résultat et les titres comptent, le management du doyen des clubs tunisiens est face à des dilemmes souvent cachés sous le tapis : comment se réinventer en restant performant ? Est-il possible pour l’ultra-exigent public Sans & Or de sacrifier une saison pour repartir sur des bases solides ? Et quelles chances de rester compétitif face à des adversaires de plus en plus développés (notamment les géants égyptiens, sud-africains et marocains mais aussi une concurrence locale redevenue farouche) ? Et tant d’autres interrogations pour une constante : le potentiel humain, la culture, l’attractivité, l’assise financière et les idées ne manquent pas du côté du club de Bab Souika, encore faut-il oser le pari de la modernité et aller jusqu’au bout de ses idées.