Après avoir survolé (sans véritable opposition) le championnat de la « Nationale B », les volleyeuses de l’Espérance Sportive de Tunis étaient de retour parmi l’élite près de 30 ans après la dissolution de la section. Ettachkila a rencontré la vétérane Mariem Brik, capitaine des Sang et Or, figure emblématique du volley tunisien et véritable modèle sur, et en dehors des parquets. Découvrez le portrait d’une passionnée sur qui le temps n’a pas d’emprise.
Ettachkila : Bienvenue Mariem. Comment étaient les sensations à la reprise de cette nouvelle saison si particulière pour le club ? (*)
Mariem Brik : Bonjour et d’abord merci pour cette invitation. Je dirais que c’était un drôle de feeling, même pour une joueuse possédant mon expérience. Il y avait de très belles sensations pour cette première très attendue de la section après près de 30 ans d’absence, d’autant plus avec ce grand public qui nous a beaucoup suivi la saison dernière et qui continue à apporter une ferveur rare dans le milieu du sport féminin.
(*) Au moment où nous publions cet entretien, l’Espérance a disputé 3 matchs pour un bilan de deux victoires (3-0 contre Boumhel Bassatine Sport et l’AS de la Nouvelle Médina) et une défaite (0-3 face au Club olympique de Kélibia)
« Le retour de l’Espérance chez l’élite est un grand challenge que l’on entend relever collectivement. C’était dommage qu’un club de l’envergure de l’Espérance n’ait pas de section féminine »
Avant de reformer sa section féminine la saison dernière, le club de Bab Souika (qui compte 5 Championnats et 2 Coupes de Tunisie à son palmarès) avait déjà entamé la constitution d’un vivier de jeunes 100% Sang et Or afin de réaccéder à l’élite et de jouer, à terme, les premiers rôles dans un championnat jusqu’ici dominé de la tête et des épaules par le Club Féminin de Carthage. Si les « Giallorosse » peuvent désormais compter sur un effectif de qualité mixant éléments d’expérience et jeunes talents du cru, notre invitée prône toutefois la patience et revient avec nous sur ce subtil équilibre à trouver.
Ettachkila : Après une année en « Nationale B » qui a vu la naissance d’un groupe et une stratégie orientée vers le futur, les choses se sont rapidement accélérées à l’avant-saison avec des renforts clinquants (notamment Caroline Perotto, Khouloud Sammoud, Amina Mansour et Wafa Gharsalli pour ne citer qu’elles…). Face à des attentes désormais à la hausse, comment garder l’équilibre entre court et moyen-long terme ?
Mariem Brik : Notre démarche est de créer un groupe riche et équilibré avec des renforts ciblés qui permettront de mettre les jeunes dans les meilleures dispositions. L’orientation du club reste la constitution d’un noyau de jeunes très performantes dans un futur proche tout en ambitionnant d’aller le plus loin possible sur le court terme. Le rôle des cadres est d’aider ce noyau à s’aguerrir tout en restant dans la lignée de la culture du club.
Ettachkila : Justement, la très forte culture de performance du club n’est-elle pas source de pression supplémentaire dans ce contexte de redécollage pour la section ?
Mariem Brik : Disons que c’est une bonne pression qui nous donne un surplus de motivation mais qui peut aussi générer beaucoup de tension pour les jeunes. C’est pour cela que le rôle des cadres est si important pour la cohésion et la confiance du groupe.
« On va tout faire pour créer la surprise mais nous sommes d’abord focus sur le jeu et la discipline. Un titre n’est jamais gagné d’avance. »
Ettachkila : Comment faire cohabiter des talents et des personnalités aussi différentes au sein d’un même groupe ? Y a-t-il des aspects que vous travaillez en dehors du terrain pour renforcer cette cohésion ?
Mariem Brik : C’est un point important qui est évoqué là. Les joueuses cadres étaient de vraies leaders dans leurs clubs et amènent toute leur expérience au service du groupe. Chaque joueuse connait précisément sa mission, et le niveau de maturité est suffisamment élevé pour permettre à ce beau monde de cohabiter ensemble. En amont des matchs, nous maintenons nos routines de performance et nos rituels aussi bien lors des déplacements qu’à domicile, et je tiens ici à saluer le rôle du Bureau Directeur pour tous les efforts consentis au quotidien depuis la saison dernière pour la bonne marche de la section.
Ettachkila : Avec ta grande expérience, tu amènes de la crédibilité aux yeux des jeunes et un « leadership tranquille » pour le groupe. Quel rôle te sens-tu d’avoir cette saison ?
Mariem Brik : J’assume mon rôle de leader avec honneur et plaisir. J’ai une relation basée sur l’écoute et le respect mutuel avec tout le monde. Comme je connais bien les filles et que j’ai cette aptitude à stabiliser les relations, les choses se passent tout à fait naturellement.
« Il m’est arrivé de jouer contre mes étudiantes. Sur un parquet, on est toutes pareilles, il n’y a aucune différence d’âge »
Ettachkila : L’Espérance a connu la saison dernière un avant-goût de l’élite avec l’opposition en Coupe de Tunisie contre le Club féminin de Carthage (défaite 0-3 malgré un premier set disputé). Le CFC est-il le modèle à suivre pour le club de Bab Souika ?
Mariem Brik : Le CFC, un club que je salue et au sein duquel j’ai passé de merveilleuses années, a fait un remarquable travail de fond pour devenir la locomotive du volley féminin en Tunisie. En revanche, les modèles économiques des deux clubs sont différents : là où le CFC repose sur la passion de ses fondateurs et sur un modèle basé sur le mécénat, l’Espérance, de son côté, est un club avec une culture forte et très établie, fonctionnant comme une véritable entreprise.
« Pour moi, Mariem est sans conteste la meilleure pointue de l’histoire du volleyball tunisien. Sa main gauche est tout simplement magique ! Elle était le prolongement du coach sur le parquet et possède ce don de motiver et de fédérer autour des objectifs. Malgré son immense expérience, c’est quelqu’un qui veut toujours faire plus. »
Nihel Kebaier, passeuse internationale et ancienne coéquipière de Mariem Brik au CFC
« Comme elle est gauchère, il est très difficile de contrer Mariem en attaque. En plus de ses qualités techniques hors-norme, c’est une capitaine exemplaire, mais aussi une grande sœur et une confidente, toujours à l’écoute des autres. »
Abir Othmani, Centrale internationale et ancienne coéquipière de Mariem Brik au CFC
Ayant commencé sa carrière professionnelle en 1996 au sein de l’institution d’Al Hilal, celle qui a grandi en regardant ses deux tantes pratiquer le volley à l’Espérance et au Hilal, a remporté tous les titres possibles avec le CF Carthage (de 2012 à 2020) avant de faire un passage éclair (mais faste) avec le CSS et d’atterrir du côté de la Salle Mohamed Zouaoui (fief de l’Espérance Sportive de Tunis, ndlr). Cette docteure en Sciences et pratiques des Arts, qui enseigne à l’Institut Supérieur des Beaux Arts de Tunis, fait encore preuve d’une longévité exceptionnelle et jouit à l’unanimité d’un statut de légende vivante de son sport. Ettachkila a souhaité connaître un peu plus Mariem la femme en lui posant ces quelques questions :
Ettachkila : Qu’est ce qui te fait lever le matin ?
Mariem Brik : La passion et la volonté de découvrir ce que nous réserve chaque nouvelle journée.
Ettachkila : Que sont devenus tes rêves d’enfant ?
Mariem Brik : Je n’avais pas de rêves précis mais je me voyais faire de la Boxe, ne me demandez pas pourquoi (rires). Je suis en revanche très reconnaissante car je concilie encore la pratique du volley professionnel et l’enseignement des beaux-arts, ma deuxième grande passion.
Ettachkila : En parlant justement d’Art, peux-tu nous citer trois de tes artistes préférés ?
Mariem Brik : Je dirais Van Gogh, Gustav Klimt et Charles Aznavour.
Ettachkila : Et les volleyeur(euse)s qui t’ont le plus marquée ?
Mariem Brik : Y en a tellement. Je cite dans le désordre : Francesca Piccinini, Tijana Bošković, Earvin Ngapethet, « Giba » et Yuji Nishida
Ettachkila : À quoi as-tu renoncé ?
Mariem Brik : À ma vie de famille. Je n’ai pas pu donner à mes proches et à ma fille le temps que je voulais leur consacrer. C’était un choix à faire, mais j’essaie toujours de me rattraper du mieux possible.
Ettachkila : Qu’es-tu capable de refuser ?
Mariem Brik : La triche.
Ettachkila : Le mot de de la fin Mariem ?
Mariem Brik : Merci beaucoup pour l’intérêt que vous avez porté à ma personne et au sport féminin. J’espère que l’Espérance fera une belle saison et lancera un glorieux cycle, comme souhaité par toute la famille Sang et Or. Je ne voudrais pas finir sans adresser ce message aux jeunes : « Soyez passionnés et vous ferez tout ce qu’il faut pour réussir. Sans passion, vous passez à côté de beaucoup de choses dans la vie. »
Interview réalisée par Walid Helali