Nommé à la tête de l’Etoile Sportive du Sahel le 28 Novembre dernier, Jorvan Vieira a d’ores et déjà été contraint de plier bagages après seulement 8 matchs et un peu plus d’un mois de travail. Si le bilan du technicien brésilien présente 4 victoires, 2 matchs nuls et 2 défaites, pouvant donc difficilement être qualifié de catastrophique, ce dernier a surtout souffert d’une communication désastreuse ainsi que de nombreuses marques d’impuissance vis-à-vis d’un effectif qui semble sous-exploité.
Un contexte fortement défavorable
Annoncé en avant-première par Zoubaier Baya, ancienne légende de l’ESS toujours proche du club et un temps évoqué comme dirigeant, Jorvan Vieira débarquait fin 2020 avec l’étiquette d’un entraineur capable de mobiliser un groupe et de travailler dans des environnements peu confortables, comme en témoigne sa victoire à la tête de la sélection irakienne lors de la coupe d’Asie 2007. Arrivé à seulement une semaine du premier match de l’équipe en championnat, le coach devait donc s’adapter au plus vite à un groupe avec lequel il a manqué l’intégralité de la préparation et qu’il connaissait très peu ou pas du tout. Il a ainsi pu compter sur son adjoint Mohamed Ali Nafkha, présent au club depuis maintenant de longs mois et qui a eu l’équipe sous ses ordres durant toute la période estivale, dirigeant même les matchs de préparation.
Alors que les étoilés ont débuté le championnat de la meilleure des manières en enchainant deux victoires en deux rencontres contre le CA Bizertin et l’ES Metlaoui, ils ont ensuite concédé leur première défaite lors de la troisième journée sur la pelouse de l’AS Solimane. Ce revers, dû principalement à deux erreurs individuelles fatales, a mis un gros coup au moral d’une équipe qui a alors paru en manque de confiance et d’inspiration sur les rendez-vous suivants. Une double confrontation extrêmement poussive en coupe de la CAF lors de laquelle l’Etoile a décroché sa qualification dans les derniers instants, ainsi qu’une défaite contre le rival espérantiste et un match nul contre l’US Tataouine, auront donc eu raison d’un coach qui n’a jamais pu imposer sa patte sur un groupe qui a fini par le lâcher.
Il est cependant important de souligner que le technicien brésilien a dû enchainer 8 matchs en l’espace d’un mois. La question qui peut donc se poser concerne le temps dont ce dernier a bénéficié afin de mettre en place un vrai travail, notamment sur le plan tactique, permettant à son équipe de progresser et de mettre en application les idées de jeu travaillées à l’entrainement. L’un des arguments avancés par Vieira après le match nul contre l’US Tatatouine était justement ce manque de temps dont souffrait l’équipe, ainsi que les blessures à répétitions devenues beaucoup trop nombreuses. Là encore, le brésilien a longtemps dû composer sans des éléments clés comme Mohamed Amine Ben Amor, Mohamed Haj Mahmoud ou encore Aly Soumah.
Un autre élément de contexte pouvant attribuer des circonstances atténuantes à l’échec de Jorvan Vieira lors de son passage express, se trouve dans les problèmes économiques auxquels fait face l’Etoile du Sahel à ce jour, et qui se font ressentir jusqu’au niveau sportif. En effet, il n’est aujourd’hui un secret pour personne que plusieurs joueurs de l’effectif étoilé n’ont pas perçus leurs salaires, ou seulement une infime partie, depuis maintenant plusieurs mois. Certains cadres se sont mêmes retrouvés contraints à porter plainte contre le club afin de s’assurer de toucher leur dû, ou de renoncer à ses derniers pour être libérés de leur contrat afin de signer ailleurs. Il est donc difficile de voir des joueurs dont le contrat n’est pas respecté, donner le meilleur d’eux-mêmes sur le terrain et performer, alors que l’obligation qu’a le club vis-à-vis de leur fonction n’est pas respecté.
Quelle part de responsabilité ?
Si le contexte dans lequel a atterri Jorvan Vieira est loin d’être propice au bon exercice de ses fonctions, celui-ci tient néanmoins une certaine part de responsabilité dans son échec à la tête de l’Etoile.
Dès la première rencontre contre le CA Bizertin, le technicien brésilien se qualifiait lui-même comme étant un coach prônant un jeu offensif et dont l’objectif était toujours de marquer un but de plus que l’adversaire. Sur le terrain, cela se traduisait par la mise en place d’un système de jeu en 4-2-2-2 dans lequel les latéraux devaient évoluer très haut sur le terrain, avec des milieux offensifs excentrés devant occuper l’axe du terrain, et une paire d’attaquants complémentaire capable de participer au jeu et de conclure les actions. Si ce plan de jeu paraissait prometteur au premier abord, il s’est vite avéré qu’il ne correspondait absolument pas à la qualité des différents joueurs composant l’effectif, entrainant donc une sous-utilisation de certains éléments contraints à évoluer dans des positions qui ne sont pas les leurs. Ainsi, un joueur comme Hamza Lahmer, qui a réalisé ses meilleurs saisons sous le maillot de l’Etoile au poste de sentinelle ou de milieu relayeur, s’est retrouvé cantonné à un rôle de milieu offensif excentré dans lequel il a paru mal à l’aise et jouant contre-nature. Ce joueur dont les qualités principales sont l’organisation du jeu depuis une position basse grâce à une intelligence et une qualité de passe au-dessus de la moyenne locale, n’a jamais pu s’exprimer pleinement sous ce dispositif. Idem pour Yassine Chikhaoui, lui aussi souvent aligné à ce poste de milieu offensif excentré qui est loin de correspondre à son profil.
L’animation offensive a donc longtemps paru illisible dans ce système, avec des joueurs qui semblaient souvent en manque de repères et perdu dans leur placement, occupant souvent les mêmes zones que leurs coéquipiers. Cela entrainait souvent une possession stérile de la part de l’équipe, avec un scénario où les étoilés avaient la possession du ballon mais ne parvenaient pas à faire plier la défense adverse. Deux rencontres sur huit se sont d’ailleurs soldés sur le score nul et vierge de zéro à zéro, soit le quart des match dirigés par Vieira. Malgré ce constat qui a livré ses premiers signes dès la troisième rencontre, l’ancien sélectionneur de l’Irak n’a jamais changé son fusil d’épaule, s’entêtant dans un plan de jeu pourtant inefficace, plongeant le collectif dans une incohérence totale avec et sans ballon. Au-delà du dispositif tactique, le choix des joueurs a également soulevé quelques interrogations. Ainsi, des éléments comme Saddam Ben Aziza et Ayoub Ayed, qui ont paru en grande difficulté dès les premières rencontres, ont continué à bénéficier de la confiance du technicien brésilien, pénalisant l’équipe à plusieurs reprises. Pourtant, plusieurs autres options se trouvaient à la disposition du staff technique, composant un effectif riche en talent mais qui a paru sous-utilisé.
Un dernier élément qui a été fatal à Jorvan Vieira est une communication très maladroite avec les médias. Souvent sur la défensive, celui-ci a laissé un sentiment d’impuissance aux supporters de l’Etoile à chacune de ses sorties médiatiques suivant des contre-performances. C’est après la défaite contre l’Espérance que le coach a par exemple proposé à un journaliste de « venir entrainer à sa place » après une question de ce dernier sur le fond de jeu insuffisant développé par l’Etoile. Plus récemment, Vieira déclarait que l’équipe de Tataouine était venue défendre « avec tout le monde derrière, même le docteur et le kiné », justifiant ainsi l’impuissance offensive de son équipe. Peu rassurant dans ces propos, ne parvenant pas à garder son calme et donnant l’impression de perdre la main sur son groupe, Jorvan Vieira a donc souffert de sa communication défaillante qui est venue s’ajouter à la longue liste de ses incohérences tactiques et son incapacité à donner une âme à une équipe en quête d’identité.
Un épisode qui suscite diverses interrogations
Ce passage express de Jorvan Vieira à la tête de l’Etoile du Sahel pose maintenant plusieurs questions sur la gouvernance et le fonctionnement de cette institution. Alors que le club se trouve déjà dans une situation extrêmement difficile sur le plan financier et peine à payer le salaire de ses joueurs, le choix s’est pourtant porté sur un coach dont la réussite était plus qu’incertaine au vu du contexte difficile et de sa méconnaissance de l’environnement. Le fait d’engager un technicien étranger signifie également que sa rémunération doit se faire en devise, ce qui ne fait qu’augmenter la dette déjà colossale que doit assumer le club. L’élément le plus inquiétant se trouve dans le fait que les dirigeants n’en sont pas à leur premier fait d’armes, le fait de surpayer des entraineurs pour les licencier quelques semaines ou mois plus tard étant même devenu une habitude du coté de Sousse. Nous pouvons ainsi évoquer l’épisode Juan Carlos Garrido, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à celui-ci, avec le club qui a dû payé une somme colossale au technicien espagnol afin de s’en séparer. Et si les dernières rumeurs crédibles évoquent la venue de Lassad Dridi à la tête de l’ESS, il serait judicieux de se demander pourquoi le choix d’un technicien tunisien ne s’est pas fait plus tôt au vu de la situation économique critique dans laquelle se trouve le club du Sahel.
Ces erreurs récurrentes au niveau de la nomination des techniciens posent donc la question des critères sur lesquels se basent les dirigeants pour engager un entraineur. Alors qu’il s’agit d’une décision qui est censée dicter le futur, au moins proche, du club, mettant d’énormes sommes en jeu en plus d’influer directement sur les résultats de l’équipe, les principaux concernés n’ont pas l’air de prendre la pleine mesure de cette responsabilité. Le nombre impressionnant de coachs passés à la tête de l’équipe lors des deux dernières années ne fait que renforcer ce sentiment d’amateurisme. Un autre élément pour le moins curieux est le fait que Jorvan Vieira ait été choisi et présenté au club par Zoubaier Baya, qui n’occupe aujourd’hui aucun rôle officiel au sein de l’Etoile, et qui est même chroniqueur dans un talk-show sportif dans lequel il s’exprime tous les dimanches. L’ancien joueur de Fribourg s’est d’ailleurs récemment désolidarisé du coach brésilien sur les réseaux sociaux, renforçant davantage un sentiment d’amateurisme déjà fortement installé.
En plus de ces problèmes décisionnelles concernant l’entraineur, il est aujourd’hui impensable de voir un club comme l’Etoile du Sahel incapable d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses joueurs. Alors que cela ne fait que prolonger le cercle vicieux dans lequel se trouve aujourd’hui le club sur le plan sportif, cela représente ni plus ni moins qu’une bombe à retardement susceptible de mettre le club à l’arrêt à tout moment. En effet, il n’est absolument pas exclu de voir l’Etoile du Sahel connaitre une situation similaire à celle que vit le Club Africain actuellement. Croulant sous les dettes et les plaintes des joueurs, le club de la capitale fait face à plusieurs menaces de la FIFA ainsi qu’une interdiction de recrutement, après que ces derniers ont déposé plainte à l’instance internationale pour le non-paiement de leurs salaires. Sans une aide de la FTF et une mobilisation sans précédent de leurs supporters, il n’était pas exclu de voir le CA connaitre une rétrogradation administrative. Il est donc nécessaire que les individus à la tête de l’Etoile du Sahel prennent conscience de la situation réelle dans laquelle ils se trouvent sous peine de devoir vite rendre des comptes à des supporters en colère. Il ne sera pas toujours possible de se cacher derrière l’incompétence des entraineurs, et une nouvelle saison blanche pourrait faire basculer le club vers la plus grande crise sportive et institutionnelle de son histoire.