Acteur influent de la diplomatie sportive, il est devenu, en succédant à Jean Todt en décembre dernier, le premier non-européen à présider la Fédération internationale de l'automobile (FIA). À l’orée d’une nouvelle saison très attendue, découvrez Mohammed Ben Sulayem, l'homme qui veut changer la Formule 1.
De par leur politique de diversification d’investissements, les Émirats arabes unis ont préparé l’après-Pétrole bien avant leurs voisins en utilisant la diplomatie sportive comme levier, à travers le sponsoring puis l’organisation d’évènements sportifs d’envergure mondiale.
Derrière Khaldoon Al Mubarak (président de Manchester City depuis 2008 et notamment PDG du Abu Dhabi Executive Affairs Authority et du groupe financier « Mubadala »), Mohammed Ben Sulayem est l’un des hommes ayant œuvré, dans le cadre de cette politique, pour l’attribution du Grand Prix de Formule 1 à Abu Dhabi en 2009, après avoir contribué à bâtir le Dubaï Autodrome en 2005.
Entrepreneur très discret, ayant notamment lancé la franchise Hard Rock Cafe aux Émirats, Ben Sulayem est surtout un grand amateur de sports mécaniques, connu pour être proche des plus grands pilotes de Formule 1 qu’il fréquente du temps où il occupait la fonction de vice-président du World Motor Sport Council. Karim Tarhouni, journaliste à Abu Dhabi Sports Channels, basé aux Émirats arabes unis, nous a accordé ce témoignage sur l’actuel homme fort de la Formule 1 :
« Ami intime notamment de Michael Schumacher et de Kimi Räikkönen (qu’il avait accueilli chez lui pour les tests de la Mercedes S95 AMG au Dubaï Autodrome), Mohammed Ben Sulayem a énormément oeuvré pour qu’un pays du Moyen-Orient puisse un jour accueillir un Grand Prix de F1. Il avait d’abord souhaité que Dubaï obtienne cette primeur, puis son rêve s’est concrétisé au Bahreïn avec le circuit de Sakhir. J’étais avec lui en 2004 pour accueillir son ami Schumacher, du temps où je travaillais pour Dubaï Sports. Ce profil enthousiaste et très promoteur voulait toujours valoriser les compétences arabes, même si l’interview de Schumacher ne s’est finalement pas faite (rires) »
Karim Tarhouni
Souvent associé à l’embarrassante image de l’homme qui fracassa sa Formule 1 (une Renault R28) en pleine ligne droite après 100 mètres du départ du Road Show Renault à Dubaï en 2009, Ben Sulayem se distingue surtout en rallye et rallye-raid avec 14 titres de champion du Moyen-Orient des rallyes (MERC), un record, avant de prendre sa retraite sportive en 2002 et présider la Fédération émiratie du sport automobile trois ans plus tard.
Fondateur notamment du Arab Council of Touring and Automobile Clubs region (ACTAC), une sous-organisation de la FIA dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, avant de devenir vice-président de l’Automobile Mobility and Tourism, le Dubaïote gravit les échelons avant d’être élu à la tête de la FIA en décembre dernier à 61,6 % des votes, succédant à Jean Todt pour un mandat de 4 ans.
« Je ne réalise pas encore vraiment. J’ai dû entendre souvent qu’un homme du Moyen-Orient ne pourrait jamais devenir président. Ce fut un sacré défi mais c’est possible. Tout comme le Vatican a élu un pape venu d’Amérique. »
Mohammed Ben Sulayem
Bien que le Qatar ait soutenu la candidature de son adversaire Graham Stoker, l’élection de Ben Sulayem renforce un peu plus le poids du Moyen-Orient dans le sport automobile. Une région qui compte désormais 4 Grands Prix de F1 : Abu Dhabi, Bahreïn, Arabie saoudite et le Qatar.
« la Chine et l’Inde, les deux pays les plus peuplés au monde, ne comptent que 8 000 licences chez nous. De l’autre côté, la Finlande donne des champions du monde dans toutes les disciplines. C’est là-dessus que je souhaite que nous nous améliorions », a insisté Ben Sulayem qui, avec la brésilienne Fabiana Ecclestone (épouse de l’ancien homme fort de la F1 et première femme vice-présidente de la FIA) dans ses équipes, compte développer la diversité au sein de l’institution mais surtout rendre le sport automobile plus accessible.
Après avoir promis dans son manifeste un audit externe sur la gouvernance et une évaluation des finances, l’Émirati a pris son temps avant de marquer son entrée dans la présidence avec l’éviction, en Février dernier, de Michael Masi de son poste de directeur de courses. L’Australien était sur la sellette depuis sa direction de course controversée du GP d’Abu Dhabi. Pour le remplacer, Herbie Blash (73 ans) effectue son retour sur la scène de la F1 pour épauler le tandem Eduardo Freitas – Niels Wittich dans la direction des courses.
Autre décision importante : une salle de contrôle de course virtuelle sera créée. À l’instar de l’assistance vidéo à l’arbitrage (VAR) dans le football, elle aidera à appliquer le règlement sportif. Les communications radio directes pendant la course (entre le directeur de course et les directeurs d’écuries) jusque-là retransmises en direct par les télévisions, seront supprimées afin de protéger le directeur de course de toute pression.
« Les règles ne sont pas immuables. Elles ont été écrites par les hommes et peuvent être modifiées. J’ai été pilote. Je comprends parfaitement l’émotion et l’énervement qui ont dû submerger Lewis Hamilton. La discipline, grâce au travail mené par Stefano Domenicali (PDG de la F1) et ses équipes, va encore grandir… Nous n’avons pas le droit de nous tromper. »
La nouvelle saison s’annonce donc très attendue avec de nouvelles réglementations mais aussi des changements techniques au niveau des monoplaces (nouvelle taille des pneus, nouvelle aérodynamique..). Premiers enseignements dès le dimanche 20 mars pour le premier Grand Prix de la saison au Bahreïn (là où tout a commencé pour Ben Sulayem).. Et avec le petit prodige algérien du sport automobile Isack Hadjar (Red Bull Junior Team), qui disputera la prochaine saison de Formule 3, l’ambition de Ben Sulayem de voir la Formule 1 s’ouvrir davantage sur le monde pourrait voir le jour plus tôt que prévu..
Sources : Frederic Ferret pour L’Équipe, RMC sport avec AFP, Karim Tarhouni pour Ettachkila