À l’approche des JO de Paris 2024, Ettachkila donne la parole à d’anciens Olympiens tunisiens pour parler carrière, anecdotes, coups de cœur.. Place dans ce premier numéro à l'icône du demi-fond et recordman tunisien du 1500m, Ali Hakimi. Une interview sous le signe de la sagesse et des valeurs de l’Olympisme.
Qu’est-ce qui te distingue des autres ?
Je suis né à Belle Vue et j’ai grandi à Dubosville (quartiers de Tunis, ndlr), des endroits où j’ai appris la valeur des choses simples et à tout partager. Ces bastions qui respirent le Foot ont vu éclore des camarades comme Hassen Gabsi, Faouzi Rouissi.. pour ne citer qu’eux : on s’amusait comme des fous. Cet environnement qui rapproche les gens m’a très tôt initié aux valeurs du sport et surtout permis de rester la même personne jusqu’à aujourd’hui.
Comment s’est faite ta reconversion du foot vers l’athlétisme ?
C’est vrai que j’ai commencé au Foot chez les minimes du Club Africain (la génération Khaled Fadhel & Co, même si on n’a pas évolué ensemble) mais j’étais un mordu de sport et je me suis essayé à plusieurs disciplines : la course de haies, le saut en longueur, le sprint, la perche aussi, où j’étais nul (rires). Au Lycée Sportif, on a fini par m’orienter vers le demi-fond au vu de mes prédispositions et de mes qualités d’endurance. Ce n’était pas vraiment un choix personnel puisque je voulais surtout continuer le Foot mais l’intérêt national devait primer. J’enchaîne très vite 2 médailles d’or et un record du monde aux Championnats du monde scolaires à Alba en Italie, puis celui du 1000m en Allemagne dans la catégorie des Juniors (avec le septième chrono mondial toutes catégories confondues). La voie était toute tracée.
Quel est l’athlète le plus fort que tu as côtoyé ?
J’ai côtoyé des géants de la course à pied. J’en citerai trois : l’éthiopien Haile Gebrselassie : l’incarnation même de la modestie. Ainsi que mes grands frères Hicham El Guerrouj et Noureddine Morceli, avec qui j’ai partagé tant d’émotions.
Un athlète perdu de vue avec qui tu aimerais renouer contact ?
Noureddine Morceli justement (avec qui je partage des origines algériennes du côté de ma mère) : c’est un gentleman, un homme aux qualités morales exceptionnelles, un grand frère. Je me rappelle encore quand il m’avait invité à me mettre à côté de lui quand le légendaire Sergueï Bubka est venu nous saluer à un meeting. À 19 ans, j’avais du mal à descendre de mon nuage.
Trois athlètes que tu admires ?
Mohamed Ali Clay : je voue une grande admiration au boxeur et à l’homme que j’ai eu le privilège de croiser au village olympique pendant les JO d’Atlanta 96. Il avait ému le monde entier en allumant la flamme olympique lors de la cérémonie d’ouverture alors qu’il était atteint de la maladie de Parkinson. Au village olympique, il nous avait gratifié de quelques gestes de classe. Quand il tenait la garde, il ne tremblait plus. Un souvenir inoubliable. Je citerai également l’immense Michael Jordan et Roger Federer : la classe, tout simplement.
Le moment où tu t’es senti la plus fort ?
Lorsque je bats le record du monde des Juniors. Je m’apprêtais à entrer dans la cour grands et sentais que l’avenir m’appartenait.
Le moment le plus marquant de ta carrière ?
Quand j’arrête ma carrière à 25 ans. J’avais été le plus jeune finaliste de l’histoire des JO au 1500m à Atlanta (finale remportée par Noureddine Morceli et qui a vu Hicham El Guerrouj, en larmes, être consolé par Ali Hakimi à l’issue de la course où le marocain chute à 400m de l’arrivée, ndlr), une fois cinquième et deux fois sixième mondial. Mais l’athlétisme ne s’était pas encore professionnalisé en Tunisie et il nous manquait beaucoup de choses comme une «Team» de demi-fondistes à l’instar des algériens et des marocains pour tirer un leader vers le haut. C’était une issue assez brusque.
Est-ce ton plus grand regret ?
(Instantanément) Non pas du tout. Avec le temps, on se rend compte que tout a un sens dans la vie. J’ai connu plusieurs phases, beaucoup appris, parfois puisé au plus profond de mes ressources et côtoyé de grands hommes. J’en suis très reconnaissant. Aujourd’hui je n’ai plus le temps ni l’énergie pour la négativité. La vie est tellement belle, à quoi bon se lamenter sur le passé ?
À quoi as-tu renoncé ?
À mes études, pour mon pays. Je devais passer le Baccalauréat à l’Oklahoma dans le cadre d’un programme avec d’autres athlètes à une année des JO 1996. C’était un petit fiasco, pour plein de raisons. L’Etat tunisien m’a permis par la suite d’avoir le diplôme d’animateur sportif, pour services rendus à la Nation. Puis j’ai pu décrocher un brevet fédéral en sport de performance à Macolin (en Suisse) : une expérience dont je suis fier, avec des enseignants de qualité, des sommités tellement accessibles qui m’ont ouvert le chemin du savoir et de la réflexion.
Que sont devenus tes rêves d’enfant ?
Ils se sont plus que concrétisés. Ma richesse c’est mon entourage qui n’a pas changé depuis plus de 30 ans et qui donne une saveur et une joie de vivre particulières à mon existence. Je suis l’homme libre que j’ai toujours voulu devenir. Je parle 6 langues, la vie m’a permis de grandir et de me développer, Dieu merci.
Le mot de la fin Ali
Je souhaite le meilleur à mon pays que j’aime tant. C’est seulement en mettant la main dans la main qu’on pourra permettre au grand potentiel du sport tunisien de se réaliser pleinement. J’ai connu l’effervescence de la Cité Olympique d’El Menzah, où toutes les générations pratiquaient tous les sports, où beaucoup de pensionnaires sont devenus des sportifs de haut niveau et des citoyens remarquables. En fin de compte, c’est ça le véritable objectif du sport.
En bref
Discipline : 1500m
Taille : 176cm
Clubs successifs :
- Club Africain
- LC Schaffhouse
Palmarès :
- Détenteur des records de Tunisie du 1000m, du 1500m, du «Mile» et du 2000m
- 8èmede la finale du 1 500m aux JO d’Atlanta 1996
- 5ème du 1500m aux Championnats du monde d’athlétisme 1997
- Champion Arabe du 800m et du 1500m en 1999