Médaillée de bronze aux JO de Rio en 2016, Inès Boubakri, avait obtenu la première médaille olympique pour l'escrime tunisienne. L’athlète s'est confiée dans cette longue interview quant au report des Jeux olympiques de Tokyo 2021.
Tout d’abord, pourriez-vous partager avec nous vos nouvelles ? Comment se passe pour vous cette période de confinement générale ?
Je vais bien El hamdoulah [Dieu Merci], après mon retour des USA il y’a trois semaines,, je me suis mis en quarantaine dans le centre de la France, dans une maison en pleine nature, très calme, sans télé et sans wifi. Ça change du quotidien !
Comment vous vous sentez sur le plan physique et mentale avant cette annonce du Comité International Olympique ?
J’étais stressée et pressée pour connaître la décision finale du CIO. Le fait d’arrêter l’entraînement d’un coup, au milieu d’une saison, est déstabilisant voir frustrant par moment. Ceci dit, c’est une situation mondiale inédite, du coup, j’étais plutôt calme et je garde espoir pour que tout aille bien par la suite.
Sur le maintien des JO « Ça serait un grand risque pour les sportifs et pour l’humanité en générale »
Quelle a été votre réaction à ce report des jeux Olympiques de Tokyo 2020 ?
Pour être honnête, je m’y attendais ! Au vu de la situation sanitaire qui s’est bien dégradée dans le monde entier, j’étais persuadée que la décision la plus sage serait un report des Jeux Olympiques. Donc, au final, c’est un sentiment de soulagement d’apprendre cette réponse définitive et officielle de reporter les JO d’un an.
Vous avez eu peur que les Jeux aient tout de même lieu en juillet malgré les conditions sanitaires et sportives extrêmement compliquées ?
Oui … Après le premier communiqué du CIO, Thomas Bach [Président du CIO] était plutôt confiant en voulant repousser la décision finale du report. Mais, comme je l’ai évoqué, au vu de la situation sanitaire planétaire, je me suis dit qu c’est complètement dangereux de maintenir les jeux en juillet. Ça serait un grand risque pour les sportifs et pour l’humanité en générale.
Les Jeux Olympiques sont avant tout un événement de paix, de joie, et d’amitié, et sincèrement, avec cette pandémie du covid19, aucun plaisir ne serait pris.
Du coup, qu’est -ce qui domine chez vous face à cette annonce ? De la frustration ? Du soulagement ?
Plutôt un sentiment de soulagement de dire que la santé est beaucoup plus importante que les JO. Les instances sportives mondiales finiront par trouver une solution à cet événement, mais la santé c’est quelque chose de vital qui ne se négocie pas.
Et pour être encore plus positive, je me suis dit,au fond de moi, que c’est un mal pour un bien et que j’aurais plus de temps de m’entraîner et de me préparer dans des conditions plus favorables.
Concernant les JO en 2021 « J’aurais le temps, surtout de digérer ce qui vient de se passer »
Certains athlètes disaient que si les JO seraient maintenus, elles seraient faussés, partagez-vous cet avis ?
Oui, je partage cet avis, car il y’a eu déjà des nations [Le Canada et l’Australie] qui allaient boycotter les JO et qui n’enverront pas d’athlètes. Je trouve qu’au final, il y’aura une forme d’injustice entre les athlètes, que la compétition ne sera pas « loyale » avec un goût et un état d’esprit différents des précédentes éditions.
Enfin, comment peut-on organiser un événement aussi prestigieux et important, alors que des personnes décèdent à cause du Covid-19 ? Ça serait tout simplement inhumain …
Vous auriez préféré un report à l’automne 2020 ou l’été 2021 ? [Cette interview s’est déroulée avant l’annonce officielle d’un report des JO de Tokyo à Juillet 2021]
Plutôt 2021, les gens auront le temps de reprendre un vie normale et nous, les sportifs, de reprendre pleinement nos entraînements et d’avoir le temps surtout de digérer ce qui vient de se passer.
Parlons de votre situation personnelle, est-ce votre préparation à été tronquée en raison du confinement ?
Oui bien sûr, du jour au lendemain se retrouver chez soi, confinée, et sans accès aux salles d’entraînements est très compliqué. J’essaie de m’entretenir avec des exercices physiques tous les jours, mais ce n’est pas du tout suffisant pour garder la même force et forme physique.
Replonger dans la préparation des JO « J’adore les défis et les challenges, c’est ce qui fait ma force »
Certains athlètes sortiront de ce confinement bouleversés, voir mentalement touchés, le craignez-vous ?
Non du tout ! Car tout ce qui comptait pour moi, c’est la santé de ma famille, mes proches et mes amis. Tant que tout le monde va bien, c’est l’essentiel !
Et sincèrement, avec ce confinement, c’est vrai que par moment on a envie de craquer, mais personnellement, j’ai appris beaucoup de choses sur moi même et sur mes capacités d’être aussi patiente. J’adore la cuisine et la lecture, donc je profite de ce temps pour pratiquer ces activités [Sourire]
Maintenant que la décision est tombée, quel va être votre programme ? Comment abordez-vous la suite ?
Pour être honnête, je n’ai aucune idée, je continue à m’entretenir physiquement en attendant de voir plus clair. Tout d’abord, nous ne savons pas quand le confinement sera levé, et ensuite, nous devrions savoir plus de détails sur les critères de qualification et le nouveau calendrier olympique pour les prochains mois.
Après tant d’effort et de préparation, replonger dans ce quotidien pour une année supplémentaire, il faut rester extrêmement solide pour relever le défi ?
J’adore les défis et les challenges c’est ce qui fait ma force [Sourire]. Personnellement, je prend ce confinement comme un break [Pause] ( un peu forcé certes) pour recharger les batteries et repartir vers l’avant avec plus de force et de détermination.
Sur les JO en 2021 « La date a changé, mais l’objectif reste le même … une deuxième médaille olympique »
Parlons du volet économique, la donne change complètement pour vous, vous auriez plus que jamais besoin du soutien de la Tunisie pour aller jusqu’au bout ?
Oui, je sens que ça sera très compliqué : déjà, qu’en temps normal, nous avons du mal à recevoir nos subventions, alors je n’imagine pas comment cela va se passer avec cette crise économique mondiale. Pour aller chercher une deuxième médaille Olympique, j’aurai bien évidemment besoin du soutien de la Tunisie pour travailler dans les meilleurs conditions, mais je vous avoue que je suis compréhensive et patiente, une fois la crisé sera terminée, nous aurons une période compliquée à gérer, et nous serons tous solidaires.
Votre participation aux JO de 2021 est-elle mise en danger en cas de manque de moyens financiers ?
Oui évidement, sans les moyens financiers, on ne peut pas travailler dans des conditions optimales de préparation olympique. On a beau à faire des efforts personnels pour trouver des solutions et des alternatives, mais au bout d’un moment, ça impactera directement notre performance sportive.
Est-ce qu’une discussion globale avec le CNO Tunisienne est nécessaire après la fin de cette crise, pour imaginer des solutions en commun ?
Ça sera une priorité absolue afin de discuter des prochaines échéances et de la nouvelle planification. C’est important pour nous, les athlètes tunisiens, d’avoir de la visibilité et le soutient financier, et un geste du CNOT serait une excellente nouvelle.
Au final, peut importe ce qui arrive, le rêve d’aller aux JO et de représenter la Tunisie, restera intacte chez vous, nous l’imaginons ?
Bien évidemment, la date a changé mais l’objectif reste le même : Représenter mon pays, me battre de toutes mes forces et aller décrocher une deuxième médaille olympique pour l’escrime et pour la Tunisie !
Je veux au final passer un message pour les Tunisiennes et les Tunisiens : Restez chez-vous ! Apprenez à être patients et soyez surtout conscients de la gravité de la situation. Il faut s’entraider et respecter les règles de santé. Ensemble, on vaincra Inchallah !
Interview réalisée par HLI
Inès BOUBAKRI, née le 28 décembre1988, elle pratique l’épée et le fleuret individuel. Elle est médaillée de bronze aux championnats du monde en 2014 et 2018, médaillée du bronze aux JO de Rio 2016, et 13 fois championne d’Afrique.